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« macédoine »[1]de fantaisie et de pédagogie, d’épopée et de roman, de sérieux, de burlesque et de grâce, de satire et de rêve. C’est l’histoire d’une fille de Roi qui, prise d’un beau feu, rêve pour son sexe une émancipation poussée jusqu’à la rupture avec l’homme. Elle fonde dans ce dessein un collège de femmes tout à fait original. Mais l’entreprise est traversée par les efforts d’un prince amoureux, chevaleresque, légèrement ridicule, qui s’introduit avec une petite troupe sous un déguisement, la courtise en dépit des difficultés, est découvert, livre bataille aux défenseurs de la belle princesse, de ses compagnes et de ses chimères, et la conquiert finalement par la pitié qu’il lui inspire quand elle le voit blessé. Nous avons peine à imaginer un poète français combinant les spéculations de quelque haut traité de l’Éducation des filles avec la donnée des Mousquetaires au couvent. Tennyson a placé le tout dans le décor d’un moyen âge irréel, et il a écrit là-dessus une œuvre hétéroclite, ennuyeuse et charmante. Les dernières pages du poème s’élèvent jusqu’à une admirable sincérité et splendeur d’éloquence pour traduire la pensée du poète, toute de mesure et de raison. Peu à peu le lyrisme se dégage, avec toute sa puissance d’expression, personnelle et humaine : au-dessus du vain tumulte des idées, il affirme la vérité de la vie et de l’amour ; plus haut que les querelles et les systèmes, il fait entendre son chant :


— Ne blâme pas trop ton passé, lui dis-je, ne blâme pas trop les fils des hommes et leurs lois barbares : elles ont été les erreurs d’un monde encore grossier. A l’avenir, tu auras un compagnon pour t’aider dans ta tâche : tu le trouveras en moi, qui sais que la cause delà femme est celle de l’homme. Ensemble ils s’élèvent ou s’avilissent, rapetisses ou divins, esclaves ou libres. Celle qui sort du Léthé pour gravir avec l’homme les degrés resplendissans de la nature partage avec l’homme ses jours et ses nuits ; avec lui, elle marche à une même destinée. C’est elle qui tient dans sa main la jeune planète : si elle est dénature petite et mesquine, comment les hommes pourraient-ils grandir ? Mais renonce à travailler seule. Autant qu’il est en nous, nous travaillerons à deux, et elle ne sera pas seule à profiter de nos efforts, si nous l’aidons à se dégager des végétations parasites qui semblent la soutenir, et qui ne font que la courber vers la terre. Nous tâcherons de lui donner de l’espace, pour que tous les germes qu’elle porte en elle puissent s’épanouir, pour qu’elle s’appartienne à elle-même en pleine propriété, maîtresse de se donner ou de se refuser, de vivre, d’apprendre, et

  1. L’auteur appelle lui-même son poème « A Medley. »