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I

Il semble que sa naissance même l’ait vouée aux aventures. Rien de plus régulier en apparence que cette noblesse bourguignonne à laquelle elle appartenait. Mais on y découvre, à regarder de près, des imbroglios inattendus, pleins de révélations sur les mœurs provinciales d’alors. Si prolixe dans ses Mémoires pour tout ce qui la rehausse, Mme de Genlis nous renseigne peu sur ses ancêtres. Elle ne s’arrête pas à l’ancienneté pourtant réelle de sa famille paternelle ; de ses origines maternelles, elle ne dit mot ; et même elle les ignore si bien qu’elle commet, en ce qui touche parentés et fortunes, maintes inexactitudes plus ou moins volontaires. Les documens d’archives et les mémoires du temps nous permettent heureusement de suppléer à cette lacune, de faire connaissance avec quelques originaux de la famille, et surtout de pénétrer dans l’étrange milieu où Félicité Ducrest passa les premières années de son enfance.


Les Minard, à qui elle remontait par sa mère, étaient d’honnêtes bourgeois d’Avallon, de fortune médiocre, tout récemment décrassés par quelque savonnette à vilain. Les modestes fonctions remplies par la plupart d’entre eux, de génération en génération, au greffe ou au grenier à sel de la ville, n’étaient point pour permettre un état de vie somptueux.

Le plus notoire de la famille semble avoir été l’arrière-grand-père de Mme de Genlis, François Minard, conseiller des défauts au bailliage d’Avallon. Le bonhomme avait acquis une sorte d’autorité dans sa ville. Mais il visait plus haut. Ce fut lui qui anoblit la famille par l’achat d’une charge de secrétaire près le Parlement de Dijon. Retors, madré, il s’efforce, avec une âpreté tenace, d’arrondir son bien par ventes, échanges, et procès, et de se donner l’allure seigneuriale conforme à son nouvel état. Mais, quoi qu’il fasse, sa fortune modeste et sa noblesse de fraîche date ne lui valent guère qu’une considération toute provinciale. Bien qu’il eût épousé une fille de bonne naissance, Edme-Marie-Josephte de Clugny, on ne parlait point sans sourire des Minard et de leurs prétentions. Combien se fût réjoui ce modeste conseiller secrétaire du Roi, combien il se fût étonné surtout, si on lui eût fait entrevoir l’ascension rapide des