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empereurs, Otton de Brunswick et Philippe de Souabe, deux factions, deux armées, « la guerre de burgs et la guerre d’argent : » quel coup de fortune pour Rome ! Et avec quel opportunisme supérieur se sert-elle des événemens, tout en se prêtant à leurs combinaisons contraires ! Depuis Grégoire VII, le Pape ne prétendait-il pas donner l’Empire ? Occasion unique de trancher en maître ! Mais ce droit reste au fourreau ; en fait, Innocent se réserve ; il ne veut pas devancer la fortune. S’il se prononce enfin pour Otton contre le frère d’Henri VI, ce n’est pas seulement par souci de l’équité, c’est qu’il a pesé les chances de l’élu et ses propres avantages. En 1206, Otton est-il vaincu, le Pape se rapproche du Souabe : il le fait absoudre par ses légats et traite secrètement avec lui. Philippe est-il assassiné, Rome revient à Otton. Mais le jour où, infidèle à ses promesses, Otton veut s’émanciper, il est perdu. Innocent III pouvait lui opposer un rival, Frédéric, et l’épée de la France. — Rome triomphe. La défaite de l’Empire est aussi la victoire de la théocratie et la dictature spirituelle étendue à tous les Etats européens. Voici donc la diplomatie papale aux prises avec les princes, travaillant à constituer la fédération chrétienne. Tâche ingrate, que nous décrit le volume sur Innocent III et les royautés vassales. Nous voyons le Pape intervenir partout, partout où il y a un écart du prince à réprimer, une liberté ecclésiastique à défendre ; partout aussi, ferme sur les principes, souple dans les actes, mesurant l’énergie de l’effort à la poussée des résistances. En Portugal, dans les royaumes espagnols, il a réduit les rois à l’obéissance, fait payer le tribut, couronné l’Aragonais, Pierre II, qui sera l’instrument de sa politique. Là, il a réussi, comme en Hongrie, où il profite des compétitions à la couronne pour faire reconnaître, presque sans résistance, son pouvoir suzerain. Il essaye de dominer les Slaves, de rattacher la Serbie à Rome ; il négocie avec les Bulgares qu’il va tenter, en 1204, de ramener à l’unité. On sait combien brillante fut la conquête de l’Angleterre. Rien ne montre mieux, que cette longue lutte contre Jean sans Terre, les procédés de la politique romaine, ses ménagemens, ses ouvertures, tantôt unie à la nation anglaise et à Philippe-Auguste contre « le tyran, » puis, quand celui-ci s’est humilié, au « tyran » contre ses sujets et contre la France. En Philippe-Auguste, la papauté devait trouver un tout autre adversaire. Sa politique se heurtait sans cesse à la nôtre, et peut-être