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mois troubles d’avril et de mai, soit qu’elle avertisse ses collaborateurs d’hier, soit qu’elle informe son fils, engagé dans la bagarre locale, et transformé en maire de son village. Dès le 17 avril, elle lui écrit : « Mon pauvre Bouli, j’ai bien dans l’idée que la République a été tuée dans son principe et dans son avenir, du moins dans son prochain avenir. Aujourd’hui, elle a été souillée par des cris de mort[1]. » Cette contre-partie de la journée des « bonnets à poil, » où deux cent mille voix féroces avaient hurlé leurs menaces, lui inspirait de justes pressentimens. Deux jours après, elle se demande si l’on ne va pas recommencer l’année de la peur. Ce n’est pas pour elle qu’elle craint, car elle est brave. « Ne me dites point de n’avoir pas peur, ce mot-là n’est pas français, » écrit-elle à Thoré. C’est pour l’avenir qu’elle a peur, c’est pour l’idée. « J’envie ceux qui n’ont peur que pour eux-mêmes, et qui se préoccupent de ce qu’ils deviendront ! Il me semble que le fardeau de leur angoisse est bien léger, au prix de celui qui pèse sur mon âme. » Aussi ne sont-ce ni les cris proférés contre George Sand la « communiste, » et qu’elle a entendus de ses propres oreilles, ni même les menaces d’incendie contre Nohant qui l’émeuvent beaucoup ; le danger que peut courir Maurice est seul capable de la toucher, car elle est mère. Ce qui la navre, c’est l’écroulement certain du beau rêve humanitaire. Un instant, la fête de la Fraternité, le 20 avril, lui donne espoir. Mais le 15 mai, elle a vu, rue de Bourgogne, la tournure menaçante prise par une manifestation d’abord pacifique ; Barbès est arrêté. Elle-même, le 17, ne peut plus se montrer en public, même sous la protection de ses amis. Et l’accusation de complot est suspendue sur sa tête. Que faire ? Homme, elle se fût défendue. Femme, il lui répugnait de braver des injures impunies. Elle fit donc retraite à Nohant, non en fuyarde (sa fière lettre à Ledru-Rollin, du 28 mai, est là pour le prouver), mais en esprit sage qui se sent impuissant. Partie de Paris dès le 17, elle écrivait à Thoré, le 24 mai, ces paroles prophétiques : « J’ignore à quelles personnes appartient l’avenir ; je n’ai que la passion de l’idée, et je crains bien que l’idée ne soit paralysée pour longtemps[2]. » Et le même jour, elle résumait en ces termes, à Poncy, cette phase nouvelle de la Révolution :

  1. Correspondance, t. III, p. 30.
  2. Ibid., p. 51.