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que cette œuvre est toujours de saison. D’autant plus que les dernières chansons peuvent être des hymnes à la république naissante. Que de belles choses pleines d’espoir et de douleur, de tristesse et de foi, vous aurez à nous chanter là-dessus !

« Bonsoir, chers enfans. Je vous aime, vous bénis et vous embrasse, — Maurice et Borie aussi. »

Cette lettre dut laisser Poncy un peu perplexe. Elle n’était d’ailleurs pas exempte de contradiction. Ce n’est rien que d’être poète, disait George Sand. Néanmoins elle encourageait le chansonnier, et croyait à l’utilité de ses chansons, à l’opportunité de ses hymnes. Avec cela, elle avait des questions naïves. Pourquoi le livre ne paraissait-il pas ? En un temps où une George Sand pouvait à peine se faire payer, où le 5 pour cent avait passé de 116 fr. 26 à 50 francs, entre le 23 février et le 3 avril, un ouvrier ne pouvait guère espérer trouver des souscripteurs et un éditeur pour un volume de vers. Évidemment, la grande âme de son amie était occupée de plus vastes objets, assiégée de soucis plus essentiels. Et Poncy n’était ni assez petit esprit, ni assez égoïste aussi pour ne pas la comprendre. Elle avait mieux à faire, mieux à souffrir surtout, celle qui écrivait à Barbès prisonnier : « Je n’ai pas goûté la chaleur d’un rayon de soleil sans me le reprocher ; » et qui ajoutait : « Je souffre pour tous les êtres qui souffrent, qui font le mal ou le laissent faire sans le comprendre ; pour ce peuple qui est si malheureux, et qui tend toujours le dos au coup et le bras à la chaîne… Je ne doute ni de Dieu, ni des hommes ; mais il m’est impossible de ne pas trouver amer ce fleuve de douleurs qui nous entraîne, et où, tout en nageant, nous avalons beaucoup de fiel[1]. » Aussi combat-elle du fond de sa retraite de Nohant, et cela sans espoir de succès, ne fût-ce que pour soulager sa conscience et formuler la « protestation de toute sa vie. » Son tempérament foncièrement démocratique s’est nettement dégagé, à la lumière des événemens de février-mars 1848. Son centre moral et politique est trouvé maintenant. Elle le sent : l’unité va se faire désormais dans des sentimens naguère confus encore, devenus aujourd’hui des raisonnemens : la pierre angulaire de son édifice social est la liberté par la tolérance, et le couronnement, la fraternité par l’amour. Verra-t-elle ce couronnement ? Sinon ses yeux, d’autres

  1. Correspondance, t. III, p. 64-67 (10 juin 1848).