Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 52.djvu/931

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

forçats sous les yeux du préfet » et dirigés à travers toute la France, en cet état, vers Toulon où Poncy aurait pu les voir au bagne. Elle ne se lasse pas de demander, sentant l’heure propice ; et elle obtient tout ce qu’elle demande. La chose se répand ; les malheureux se jettent à ses pieds. Elle n’en rebute aucun. Elle intercède ainsi, un jour pour quatre simples soldats d’Afrique condamnés à mort, un autre jour pour Greppo, pour Marc-Dufraisse, pour le gendre de Pierre Leroux. Pendant quelques mois, il semble que Nohant soit le dernier recours des douleurs humaines, et que par George Sand seulement on soit assuré d’obtenir justice ou miséricorde.

Cela dure tant que George Sand peut voir le prince et lui parler. Mais bientôt les barrages officiels se dressent. L’homme n’est plus son maître ; il appartient de plus en plus à sa situation, à son entourage. Et George Sand, qu’une gêne secrète envahit, ralentit ses démarches. Elle ne veut ni être refusée, ni être dupe. L’hypocrisie officielle la glace. Il ne lui convient pas de s’y exposer. Cela se sent entre les lignes, dans certains billets à Poncy. Cela se lit dans une lettre significative adressée par George Sand à un ami, sous la date du 30 décembre 1852, c’est-à-dire à une époque où la proclamation de l’Empire avait changé la situation :

« Cher ami, j’ai reçu ta lettre à Paris. J’ai réfléchi à ce que je pouvais et devais faire. Je n’aurais rien pu. La personne était inabordable dans les circonstances que tu sais. Et puis, je l’aurais pu, que j’ai pensé ne pas devoir l’essayer. Les choses sont trop changées depuis six mois. L’homme que j’ai vu aussitôt après les événemens m’a tenu un langage, donné des espérances, et fait des promesses que je pouvais entendre, sauf à croire peu ou beaucoup. Aujourd’hui, ce qu’il me dirait serait ou un tas de mensonges que je ne croirais pas du tout, ou une telle palinodie, que je ne l’entendrais peut-être pas avec calme. Pour mon compte, je me moquerais bien de déplaire ; mais, comme ce n’est pas, comme ce ne sera jamais pour mon compte que je ferai des démarches près de lui, je ne dois pas gâter la cause de ceux pour qui je plaide.

« J’ai donc cru, malgré mon affection bien vive pour notre ami, ne pas devoir bouger cette fois-ci, et je crois que tu me comprends et m’approuves. Je t’embrasse de cœur. Ne passe pas chez nous sans venir me voir. À toi. — George. »