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russes ou anglais : de la littérature polonaise, nous ne connaissons et n’entendons connaître que cet infortuné Quo vadis. Et cependant, la littérature polonaise ne se borne pas à ce roman « néronien, » ni même à toute l’œuvre romanesque de M. Sienkiewicz ; et tandis que maintes autres écoles littéraires de l’Europe nous font voir des signes trop évidens de fatigue, sinon d’épuisement et d’usure finale, celle-là ne s’arrête pas de produire de beaux fruits, avec une force impétueuse de jeunesse et d’ardeur qui, depuis un siècle bientôt, lui permet de traverser impunément toutes les catastrophes de la vie politique la plus accidentée. D’âge en âge, depuis la glorieuse période des Mickiewicz et des Slowacki, des écrivains se succèdent qui s’emploient heureusement à revêtir de beauté les pensées, les émotions, et les rêves d’une grande nation plus affamée d’idéal que nulle autre au monde, créant une œuvre si purement et profondément nationale, en vérité, qu’il n’est guère permis aux étrangers d’en apprécier l’éminente valeur, mais qui d’autant plus parvient à toucher jusqu’aux plus intimes replis des âmes polonaises. D’elle seule aujourd’hui, — à moins que l’on y joigne en partie l’œuvre des écrivains russes, — on peut dire qu’elle sert effectivement à nourrir tout un peuple, au lieu de n’être pour lui qu’un passe-temps plus ou moins superflu : et peut-être l’étonnante vitalité de la littérature polonaise trouverait-elle surtout son explication dans l’importance exceptionnelle du rôle, intellectuel et moral, que cette littérature est admise à remplir.


Je ne m’attarderai pas, après cela, à énumérer les noms des romanciers et poètes qui sont en train de poursuivre, auprès du public polonais, la mission inaugurée jadis par les illustres « voyans » de l’époque romantique[1]. Il y a là des hommes de tout âge et de toute origine, unissant à la diversité de leurs tempéramens littéraires une variété plus extrême encore d’opinions religieuses, politiques, ou sociales. Mais deux traits essentiels leur sont communs à tous, par-dessous cette dissemblance extérieure : le culte passionné de leur pays, et la résolution de consacrer au service de la Pologne tous leurs

  1. La Pologne a perdu récemment un jeune poète, Stanislas Wyspianski, dont le robuste et subtil génie lui aurait mérité de prendre place à côté des deux plus hautes gloires de la poésie nationale, Mickiewicz et Slowacki, s’il avait pu contenir une fièvre d’improvisation souvent préjudiciable à la pureté de son art. Tel qu’il a été, ce Wyspianski, poète et peintre, restera l’une des figures les plus originales de tout le mouvement artistique de notre temps.