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Si nous avions écrit cette chronique il y a seulement quelques jours, nous aurions dû y consacrer une grande place à l’Espagne, et peut-être nous aurait-on accusé, de l’autre côté des Pyrénées, d’avoir présenté la situation comme plus grave qu’elle ne l’était. Nous n’aurions pas manqué, cependant, de sympathies pour l’Espagne, car il y a peu de nations pour lesquelles nous en ayons de plus sincères, et ces sentimens sont partages par toute la presse française. Mais les journaux et les Revues sont forcés de commenter telles qu’on les leur donne les nouvelles du jour, qui sont quelquefois rectifiées par celles du lendemain. A un certain moment, les nouvelles venues d’Espagne ont pu paraître alarmantes. Un conflit armé s’était produit entre les troupes espagnoles de Melilla et les Riffains. L’avantage était incontestablement resté aux Espagnols, ils étaient demeurés maîtres du terrain ; mais, n’ayant pas prévu l’agression dont ils avaient été l’objet, ils avaient fait des pertes assez sensibles. Ce sont là des mésaventures qui, dans la politique coloniale, peuvent arriver à tout le monde : heureusement elles sont réparables et un grand pays les répare toujours. Ce qui était plus inquiétant, c’est que cette affaire marocaine étant impopulaire en Espagne, — les affaires de ce genre le sont toujours, au moins au début, et nous n’avons pas oublié l’impopularité qui a accompagné chez nous les expéditions de Tunisie et du Tonkin, — le mécontentement s’est traduit à Barcelone par une explosion révolutionnaire dont la violence a pu faire un moment illusion sur sa profondeur et sur son étendue. On n’a pas tardé à s’apercevoir que le mal était limité à la ville de Barcelone ; qu’il ne tenait à aucune cause politique définie, par exemple à un mouvement séparatiste catalan, ou à une tentative républicaine ; enfin qu’il fallait seulement y voir un phénomène de déséquilibre moral et un déchaînement anarchiste auxquels la population saine ne s’était nullement associée ; elle s’en était du moins séparée aussitôt qu’elle en avait reconnu le caractère. Dès lors, que restait-il de tout cela ? Une surprise au Maroc, à laquelle des troupes inférieures en nombre avaient fait face avec un admirable héroïsme, et une échauffourée anarchiste immédiatement réprimée.

L’incident de Melilla a commencé comme celui de Casablanca : des ouvriers espagnols qui travaillaient à une route créée en vue de l’exploitation de mines ont été massacrés par les gens du Riff, comme les nôtres l’avaient été par ceux de la Chaouïa. Les Marocains se rendront peut-être un jour à la civilisation : pour le moment, ils la haïssent, parce qu’ils n’y voient qu’une forme de l’invasion