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cris vociférés par la foule, que la colère contre les religieuses n’était pas seulement fomentée par le fanatisme anti-religieux puisqu’on les accusait de faire, par leur travail à bon marché, concurrence aux ouvrières laïques. Quoi qu’il en soit, leur vie a été respectée ; il n’y a pas eu de meurtres à déplorer, ou du moins, le nombre en a été négligeable ; la fureur bestiale de la foule s’est exercée plutôt contre les morts que contre les vivans. Des sépultures ont été violées ; des cadavres momifiés ont été promenés dans la ville et attachés à des arbres où ils sont restés plusieurs jours ; on dansait autour d’eux des sarabandes. Il est difficile de comprendre à quel sentiment, à quel instinct confus ut brutal correspondaient ces manifestations répugnantes. Si les couvens d’hommes ont été plus ménagés, c’est peut-être qu’on les savait mieux défendus. Les Jésuites, en particulier, ont soutenu un siège en règle. Ils étaient armés. Eux ou leurs défenseurs ont tué un grand nombre d’assaillans : les autres se sont retirés. Ce trait de mœurs mérite d’être consigné. Enfin, après quatre ou cinq jours où la bête humaine a été déchaînée dans la rue, les troupes renforcées et vigoureusement conduites sont restées maîtresses ; l’ordre a été rétabli ; mais la ville présente des ruines nombreuses, et le nombre des victimes est inconnu.

Tout cela a été si rapide, qu’on pourrait croire avoir été le jouet d’un mauvais rêve. La leçon montre à quel point, même dans les villes les plus civilisées, la barbarie est près de la civilisation. Il est vrai que, si Barcelone est une ville très civilisée, elle est travaillée par des passions très ardentes. Mais la tranquillité du reste de l’Espagne, à côté du volcan révolutionnaire qui venait d’entrer en éruption, a montré, par l’épreuve même, que l’exemple n’était pas contagieux. Ce qui reste comme un exemple, c’est le sang-froid montré par le gouvernement et la promptitude des mesures qu’il a prises, ainsi que leur efficacité. Aucun gouvernement, dans aucun pays, n’aurait fait ni mieux, ni plus vite : celui de M. Maura a bien mérité du pays.


FRANCIS CHARMES.


Le Directeur-Gérant,

FRANCIS CHARMES.