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LE PRINCE DE BÜLOW.

une conviction sincère ; où l’on vit le Kronprinz salué au Thiergarten des cris paradoxaux de : « Vive Harden ! » ; où l’aristocratie et l’armée, victimes des généralisations simplistes de la foule, furent dénoncées devant le pays pour les égaremens de quelques-uns ; où le chancelier lui-même dut aller, en personne, faire condamner un accusateur, qui avait dirigé contre lui des imputations pareilles à celles dont était l’objet l’entourage impérial : riche matière pour les pessimistes, stigmatisés à Breslau deux ans plus tôt. Après cette crise de suspicion, l’opinion publique restait secouée d’une sorte de tremblement nerveux. Une inconsciente rancune montait du peuple vers le trône, comme si l’on en voulait au souverain d’avoir ou mal choisi ou mal défendu ses amis. Le prestige de l’autorité était ébranlé. Un déséquilibre moral livrait l’Allemagne aux surprises, exposait le pouvoir impérial aux représailles de l’indiscipline.

Ces représailles ne tardèrent point. Le 28 octobre 1908, le Daily Telegraph publiait une interview de Guillaume II destinée, d’après son préambule, à rassurer l’Angleterre sur les desseins de l’Allemagne. C’était un long factum, où la politique franco-russe pendant la guerre du Transvaal était ouvertement accusée d’hostilité contre la Grande-Bretagne et où des faits inexacts soutenaient faiblement une thèse désobligeante. On y retrouvait la vieille tendance bismarckienne à diviser pour régner. On réfuta les erreurs matérielles. On blâma l’intention. Et l’on garda l’espoir qu’un démenti donnerait à l’incident la seule solution qui convînt. Un jour passa, et le démenti ne se produisit pas. Bien plus, la Gazette de l’Allemagne du Nord cautionna, en le reproduisant, l’article du Daily Telegraph. L’étonnement grandit, exprimé avec une sévérité particulière par la presse allemande. Le 31 octobre, nouvelle note de la Gazette de l’Allemagne du Nord. L’opinion allemande, à peine remise des affaires Harden, s’élevait contre cette manifestation nouvelle et inopportune du pouvoir personnel. L’organe officieux venait déclarer qu’il était faux « que l’Empereur eût provoqué cette publication, sans en avoir, au préalable, averti les personnalités responsables de la politique de l’Empire. » L’interview avait été envoyée au chancelier. Celui-ci l’avait transmise à ses bureaux. Les bureaux n’avaient pas formulé d’objections. Le bon à tirer avait été donné : l’Empereur avait par conséquent été correct. Au contraire, le chancelier et ses fonctionnaires, qu’il couvrait, avaient