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de répondre par un coup de force à un essai d’encerclement. Que risque-t-on au surplus ? La Russie est prise pour longtemps au piège asiatique. Depuis l’occupation de Port-Arthur, conséquence de l’occupation de Kiao-Tchéou, elle a renoncé à la politique de pénétration prudente pour s’attacher à celle des réalisations prématurées. En 1903, elle a trouvé devant elle le Japon, dont elle n’a su mesurer ni les plans, ni les ressources. Elle a cru pouvoir le lasser par les lenteurs calculées de sa diplomatie et elle a été conduite par lui à une guerre, dont il a fixé l’heure. Le 5 février 1904, M. Kurino, ministre du mikado à Saint-Pétersbourg, a rompu les relations diplomatiques. Le 8, les cuirassés russes ont été torpillés à Port-Arthur. Le 1er mai, les Japonais ont passé le Yalou. Le 30, ils ont investi Port-Arthur. Le 15 juin, le général Stackelberg, parti au secours de la place, a été battu à Vafangou. Le 2 et le 3 septembre, Kouropatkine, après une belle résistance, a subi à Liao-Yang un échec décisif qu’aggravera cinq mois plus tard la défaite de Moukden. L’empire russe, menacé à ses frontières, est secoué au dedans par la Révolution. Il a dû dégarnir son front occidental. Ses corps d’armée d’Europe ont cédé à ceux d’Asie leurs officiers, leurs canons, leur matériel. Ils ne peuvent plus passer du pied de paix au pied de guerre. Et il en coûte peu à M. de Bülow, à la fin de 1904, d’accabler la Russie de prévenances oratoires[1]. Car, pour longtemps, elle ne pèse plus dans la balance de l’équilibre.

Restent la France et l’Angleterre. M. de Bülow sait l’impuissance de l’armée anglaise et ne doute pas que la France, réduite sur terre à ses seules forces, ne recule devant la guerre. La situation de notre pays, — détestable assurément par suite de l’administration du général André et de M. Camille Pelletan, — lui apparaît sous des couleurs plus sombres encore que la réalité. Rien ne le retient donc d’ouvrir l’oreille aux conseils pressans des partisans de la manière forte. On lui a reproché d’avoir péché par excès de sécurité : l’heure est venue de prouver par un succès que cette sécurité n’était point téméraire, de convaincre l’Empereur et l’Empire que le grand dessein d’Edouard VII, appuyé par la France, accepté par l’Espagne, admis par l’Italie, est à la merci de la force allemande. En 1904, M. de Bülow

  1. Reichstag, 5-10 décembre 1904.