Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 53.djvu/530

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

me prêter à des familiarités, je lui ai fait plus d’une fois des leçons mortifiantes. » Les vrais amis de Marie-Antoinette regrettent que ces « leçons » ne soient pas plus sévères et ne portent pas plus de fruits. Les fréquens tête-à-tête de la souveraine avec le Comte d’Artois, leurs promenades, leurs chasses en commun, leurs mutuelles confidences, leurs longs chuchotemens à l’oreille, toute cette intimité publiquement affichée fait prévoir « le danger prochain que la Reine ne soit compromise par la légèreté du prince son beau-frère[1]. » Dans tout cela, d’ailleurs, rien autre chose que des étourderies, point d’autre mal que celui d’affaiblir encore, dans lame d’un peuple impressionnable, le respect de ses maîtres et le prestige du sang royal.

Mesdames, tantes de Louis XVI, activaient de leur mieux ce travail de désaffection. La période de sagesse, de désintéressement apparent de la politique, qui, après leur petite vérole, avait suivi leur rentrée à Versailles, avait trop peu duré ; le naturel avait vite repris le dessus ; les intrigues, les sottes « tracasseries » avaient reparu de plus belle. Quelques rebuffades de la Reine, en aigrissant leur bile, les poussent bientôt aux représailles, mais l’étroitesse de leur cerveau réduit toute leur opposition à de ridicules taquineries sur des futilités. Ainsi, un beau matin, les deux Comtesses de Provence et d’Artois refusent d’aller faire leur cour à la Reine, comme c’était l’usage quotidien, et l’on apprend que ce refus est l’œuvre de Madame Adélaïde, dont les conseils ont décidé ses nièces à ces façons maussades. Un mois plus tard, à propos des soupers où le couple royal, contrairement à la mode introduite par Louis XV, a décidé de paraître en commun et de manger à la même table, vives protestations de Mesdames, scandalisées par cette innovation. Louis XVI, inquiet, hésite, est sur le point de reculer[2]. Il s’ensuit une scène de ménage, qui se termine par la victoire de Marie-Antoinette, non sans laisser chez les vieilles filles un nouveau levain de rancune. La Reine, il faut l’avouer, triomphe sans ménagemens. Toute fière d’avoir secoué le joug qui a pesé

  1. Lettre de Mercy-Argcntcau du 18 mai 1775. — Correspondance publiée par d’Arneth.
  2. Les lettres de Mercy signalent à ce sujet un petit trait de faiblesse et de dissimulation de Louis XVI, affirmant à la Reine qu’il compte, sur cette question, prendre l’avis de Madame Victoire, tandis qu’en réalité il s’était adressé à Madame Adélaïde. Madame Victoire était la plus douce des sœurs et la moins malveillante pour Marie-Antoinette.