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V

Le mois de mai 1775 avait été, ainsi qu’on vient de voir, fertile en émotions et en agitations diverses. Des émeutes dans la rue réprimées par la force et des intrigues de Cour terminées par un coup d’éclat, c’est dans cette atmosphère d’orage qu’il avait fallu préparer l’événement auguste du Sacre. Deux questions, toutes deux délicates, bien que d’inégale gravité, avaient, au cours de ces préparatifs, occupé l’attention du Roi, mettant aux prises les deux tendances contraires entre lesquelles se débattait perpétuellement le trône, la tradition et le progrès, l’esprit conservateur et l’esprit de réforme.

Où aurait lieu le Sacre : à Reims ou à Paris, ce fut le premier problème à résoudre. Turgot tenait fortement pour Paris. Il invoquait, pour rompre avec un usage séculaire, des raisons de finance, les énormes dépenses du transport de la Cour et de l’aménagement d’une installation provisoire. Sans doute aussi, dans son for intérieur, outre le bénéfice d’une grosse économie, espérait-il tirer de cette dérogation à la coutume ancienne quelques facilités pour supprimer « des pratiques surannées et des superstitions puériles, » comme la guérison prétendue des écrouelles par l’attouchement du Roi. La population parisienne, toujours éprise de fêtes et de spectacles, désirait non moins ardemment que le Sacre se fît dans la capitale du royaume. Les fermiers généraux offrirent pour cet objet un don gratuit de deux millions, et le corps des marchans la moitié de cette somme. Le parti opposé, le comte de Maurepas en tête, alléguait le péril de briser sans nécessité une tradition dont l’origine se confondait avec celle de la monarchie, et qui, depuis Philippe-Auguste, avait été presque ininterrompue. Ne devait-on pas craindre que, dans l’esprit du peuple, il résultât de cette innovation un affaiblissement de prestige pour le successeur de Clovis ?

Après quelques hésitations, ces raisons convainquirent Louis XVI. Néanmoins, en se prononçant pour Reims, il spécifia sa volonté de diminuer dans la mesure possible le coût de son voyage et les frais du séjour. On rogna en effet sur certains accessoires ; on supprima quelques caisses de bagages, et l’on élimina de la suite de Leurs Majestés quelques personnages secondaires ;