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parler raison un quart d’heure par mois, qui ne réfléchissez, ni ne méditez, j’en suis sûr, jamais ?… » L’Impératrice, plus mesurée, sentit le danger de ce style, admonesta son fils ; elle confisqua sa lettre et lui en fit écrire une autre, d’une forme un peu plus adoucie[1], laquelle d’ailleurs, au témoignage de Mercy-Argenteau, n’eut d’autre effet sur Marie-Antoinette que de provoquer son dépit, et à laquelle elle répliqua par quelques lignes « plus que froides. »

Pour entendre une note juste sur cette petite incartade de la Reine, il faut s’en rapporter à la sage appréciation de l’ambassadeur autrichien : « Je vois, dit-il, avec un grand chagrin combien cette lettre au comte de Rosenberg a causé de peine à Votre Majesté… Je la supplie de me permettre d’observer que le sens et la tournure de cette lettre ne partent absolument que de la petite vanité de vouloir paraître en position de gouverner le Roi… A l’extérieur, la Reine manque quelquefois à de petites démonstrations d’égards et d’attentions envers le Roi, mais, quant à l’essentiel, il est certain qu’elle estime son auguste époux, qu’elle est même jalouse de sa gloire, et qu’il n’y a que de petits mouvemens de vivacité et de légèreté qui puissent quelquefois masquer en elle cette façon de penser et de sentir. »


Quant aux suites immédiates des divers incidens du Sacre, elles furent bien différentes de ce qu’avaient rêvé les pêcheurs en eau trouble et les politiques de boudoir, car il en résulta un redoublement de crédit pour le comte de Maurepas d’abord et, par contre-coup, pour Turgot. Il suffit, pour s’en assurer, de lire ce billet affectueux que Louis XVI, au départ de Reims, adressa de sa main à son vieux conseiller : « Je suis libre[2]de toutes mes fatigues. La procession de ce matin, jour de la Fête-Dieu, était la dernière. J’ai été fâché que vous n’ayez pu partager avec moi la satisfaction que j’ai goûtée ici. Il est bien juste que je travaille à rendre heureux un peuple qui contribue tant à mon bonheur ; je vais maintenant m’en occuper tout entier. J’espère que vous aurez pensé aux moyens dont nous avons parlé ensemble ; j’y ai pensé de mon côté, autant que j’ai pu dans la foule des cérémonies. La besogne est forte, mais, avec du

  1. Le texte de cette seconde lettre ne s’est pas retrouvé.
  2. Journal de l’abbé de Véri, passim.