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Maurepas dans son jeu, à exiger de lui, comme gage d’alliance et comme preuve d’amitié[1], le double choix imaginé par le parti Choiseul. Le Journal de Véri, confirmant sur ce point le récit du baron, montre que ces conseils furent suivis à la lettre : « Hier soir, y lit-on[2], la Reine a parlé à M. de Maurepas : « Vous savez déjà, lui dit-elle, le désir que j’ai de marcher avec vous. C’est le bien de l’Etat, c’est le bien du Roi, et par conséquent le mien. M. de La Vrillière va se retirer, et je veux sa place pour M. de Sartine. Je ne comprends pas ce que vous me dites sur la mésintelligence entre M. Turgot et M. de Sartine… Vous les croyez tous les deux d’honnêtes gens ; cela me suffit pour être assurée de leur concert. Je dirai tout ceci au Roi, ainsi que ce que je désire. Je veux être amie avec vous ; il ne tient qu’à vous que cela soit, vous voyez à quelle condition. »

Ce langage résolu, ce ton catégorique, troublèrent beaucoup Maurepas et le jetèrent dans une perplexité cruelle. Au fond, il tenait pour Malesherbes, dont il estimait les talens et honorait le caractère, qu’il savait « sans intrigue, » sans arrière-pensée d’ambition, incapable de se pousser au détriment de ses collègues. De plus, il appréciait en lui le magistrat et le parlementaire de race, ce qui avait toujours quelques droits sur son cœur. Il vint trouver Turgot, lui rapporta les paroles de la Reine. Turgot, sur cet avis, eut une inspiration heureuse, il prévint l’abbé de Vermond de ce qui se passait et lui demanda son appui.

De récens historiens ont fait justice des légendes longtemps répandues sur ce lecteur de Marie-Antoinette, placé auprès d’elle, disait-on, par le parti Choiseul, d’accord avec la cour d’Autriche, pour capter sa confiance, s’emparer de sa volonté et servir l’intérêt de ceux dont il était l’agent. Dans la réalité, Vermond, — ainsi nous le révèle ce qu’on a publié de sa correspondance[3], — paraît avoir été un homme simple et modeste, sincèrement dévoué à la Reine, qui ne le goûtait guère, au reste maladroit et médiocre d’esprit, mais rassis, de bon sens et employant sa très faible influence à combattre les fantaisies et les emportemens de Marie-Antoinette. C’est sous ce jour qu’il se montra dans cette circonstance délicate. Quand Turgot l’eut mis

  1. Mémoires de Besenval.
  2. Journal de l’abbé de Véri, passim.
  3. Voyez les lettres publiées par d’Arneth à la fin du volume intitulé : Maria Theresia und Marie Antoinette.