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prédisait en outre que les difficultés de sa position proviendraient surtout des décisions inattendues de l’Empereur, et il lui souhaitait du courage. Les premiers embarras pour Hohenlohe surgirent au sujet du code de procédure militaire et de la publicité de cette procédure. Hohenlohe se rappelait qu’étant ministre de Bavière, il avait assuré jadis lui-même cette publicité ; s’il s’y opposait aujourd’hui, on lui rappellerait ce fait. « Tout le monde me raillerait, disait-il, et l’Empereur ne saurait que faire d’un chancelier discrédité. » Dès ce moment, il comprit que de fortes intrigues allaient s’ourdir contre lui. « Je sais, écrivait-il dans son Journal, qu’un grand nombre de politiciens et d’arrivistes de marque cherchent à me discréditer auprès de l’Empereur. Ils veulent un autre chancelier, et allèguent que la situation réclame une action plus énergique. Que veulent-ils donc ? Un conflit avec le Reichstag trop indépendant et trop résistant à la réforme financière ; une dissolution et des élections défavorables au gouvernement ? Une nouvelle dissolution et un coup d’Etat d’où résulteraient un conflit avec les gouvernemens, puis la guerre civile et finalement la dissolution de l’Empire allemand ? » Le nouveau chancelier était très pessimiste et prévoyait que l’étranger se mettrait de la partie. Il préférait, si le Reichstag ne votait pas la réforme des finances, laisser agir le mécontentement provoqué par les charges budgétaires et préparer le terrain pour de meilleures élections. « Pour mon compte, disait-il, je suis prêt à me retirer d’un moment à l’autre, si l’Empereur compte suivre des voies opposées. »

Le prince avait une situation peu facile au Reichstag : n’étant pas orateur et étant forcé de lire ses discours dont il embrouillait parfois les pages, il n’imposait pas comme le franc et carré général de Caprivi et surtout comme le rude et terrible prince de Bismarck. Ce n’est pas que celui-ci eût un puissant organe. Tout au contraire, de ce vaste corps de géant il ne sortait qu’un mince filet de voix, mais la stature élevée, l’allure énergique, le ton hautain et le prestige de l’homme qui avait tant de victoires parlementaires à son actif, donnaient quelques craintes à ceux qui voulaient l’attaquer. Ici, au contraire, on avait devant soi un vieillard petit, maigre et voûté, que la presse appelait familièrement « l’oncle Clovis ; » ce n’était qu’un homme d’apparence ordinaire qui parlait sans émotion, sans apprêt, sans humour, avec la froide correction d’un fonctionnaire modèle. Cependant,