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Pour aller à la Rotonde, il faut, au lieu de continuer à suivre le portique, prendre un curieux petit sentier, aux pavés rudes et pointus, qui passe entre des murs, d’abord nus et hauts comme des clôtures de prison, puis rians et tout couverts de vigne vierge. On longe la villa Fogazzaro, où l’illustre écrivain promène ses nobles méditations, et la villa Valmarana où dorment des fresques de Tiepolo. Les murailles sont surmontées de ces vieilles figures grotesques et grimaçantes, comme il y en a tant dans les villas de la région, notamment sur les bords de la Brenta. Drôle de mode et drôle d’idée qu’avaient les gens du XVIIIe siècle de faire garder leurs demeures par ces magots difformes ! La pierre s’effrite chaque jour, et c’est à peine si l’on peut reconnaître encore ce que pouvaient bien représenter ces nains contrefaits et bizarrement accoutrés. Puis le sentier devient champêtre. Le pavé fait place au gazon, tout fleuri de menthes à l’odeur forte. De magnifiques arbres, des pins, des cyprès jaillissent au-dessus des murs. On croise une route et l’on est à la Rotonde.

Hélas ! on ne la visite plus. La Signora madre à qui elle appartenait est morte, me dit-on, il y a quelques mois, et son fils, le nouveau propriétaire, n’y laisse plus pénétrer. Pourtant on me permet d’entrer dans les jardins. Je ne pourrai pas revoir les appartemens ; mais la peine est légère : ce n’est pas là l’important. Le chef-d’œuvre, c’est la construction elle-même et le site merveilleux où elle s’élève, le plus amène qu’on puisse imaginer, amenissimo comme le déclare lui-même Palladio. Ces maisons de la Renaissance étaient faites, en effet, surtout pour le plaisir des yeux. De tous temps, d’ailleurs, il en fut ainsi en Italie. Qu’on relise la lettre où Pline le Jeune décrit son cher Laurentin : on verra que la question d’un logement « commode et spacieux était secondaire. Il ne s’agit pas de bâtir un château à la française ou l’une de ces grandes constructions confortables des pays du Nord, mais simplement une villa, suivant l’expression antique, c’est-à-dire un lieu de repos et d’agrément où la vie pourra s’écouler lumineuse et gaie. Paolo Almerico, qui commanda cette Rotonde, était un simple homme d’église, référendaire des papes Pie V et Pie VI. Le domaine passa ensuite aux marquis de Capra, dont le nom se lit encore au fronton de l’entrée principale.

L’édifice est un carré, dont chaque côté est précédé par un