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en maîtres les affaires publiques et abaisser jusqu’à eux le niveau de la nation[1]. Pour les Jaunes, il n’en va point de même. Ils ne sont encore qu’un petit nombre, deux cent mille peut-être ; et il s’agit simplement de ne pas les laisser croître. Mieux vaut leur fermer la porte qu’avoir ensuite à les expulser. Les précautions qu’on a prises à temps contre les Chinois, il faut les prendre contre tous les Asiatiques et avec plus de soin contre ceux d’entre eux qui se montrent à la fois les plus empressés à venir et les plus dangereux par leurs capacités mêmes, c’est-à-dire contre les Japonais. Malgré de vaines apparences, ils ne s’assimilent pas mieux que le nègre. Ils s’assimilent moins bien, en un certain sens, car celui-ci, du moins, aime l’Amérique pour elle-même et la considère comme sa vraie patrie ; eux ne la regardent jamais que comme un champ d’exploitation, un moyen de s’instruire ou de faire fortune. Campés sur ce versant du Pacifique, ils ont laissé leur âme sur l’autre bord, obstinément fidèles à leur premier pays et à ses institutions. Tandis que le Noir, malgré tout ce qui lui manque, est cependant un Américain, les Japonais, aussi bien que les Chinois, les Coréens, les Hindous, restent des Asiatiques. Et si jamais ils étaient installés à demeure et gagnaient en nombre, comme a fait la race nègre, l’embarras qu’ils créeraient serait autrement redoutable, puisqu’ils auraient pour eux, en plus de leur intelligence, la protection d’un puissant Empire qui les regarderait toujours comme ses nationaux.

Fût-il même possible de les dominer, que ce ne serait point encore pour les Etats-Unis une solution admissible. Le peuple Américain ne veut pas plus de sujets qu’il ne veut de maître ; il considère comme essentiel à l’idée de démocratie, qui lui tient à cœur par-dessus tout le reste, non pas l’égalité des situations, qu’il sait chimérique, mais l’égalité des chances, la possibilité ouverte à chacun d’atteindre le meilleur sort et le plus haut rang ; et le seul gouvernement qu’il lui plaise d’admettre est celui auquel tous participent, qui est contrôlé par tous, qui travaille pour tous. Qui n’est pas capable de self government ne peut pas être Américain. C’est de là, dans le fond, que vient toute la gravité de la question nègre. Ou, si l’on veut un autre

  1. Avec beaucoup d’éloquence, à son ordinaire, M. Henry van Dyke soutient ces mêmes idées dans son Génie de l’Amérique. Un vol. in-12 ; Calmann Lévy.