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dans la distribution de nos forces. Mais Toulon proteste, parce qu’il s’est habitué à croire que l’escadre de la Méditerranée lui appartenait, au lieu d’appartenir à la France. Quel jour une réclamation de ce genre ouvre sur tout un état d’âme ! M. Briand a répondu à M. le maire de Toulon que le ministre de la Marine avait seul qualité pour résoudre des questions maritimes, mais que l’intérêt de la défense nationale ne pouvait être mis en balance avec aucun autre. Tout cela indique, dans notre gouvernement, des tendances excellentes ; mais les intentions ne sont rien sans les actes, et les mœurs administratives et politiques qui se sont implantées dans le pays opposeront tant d’obstacles à nos ministres qu’il leur faudra une grande force de caractère pour les vaincre. L’obstacle principal est dans la manière de plus en plus vicieuse dont le parlementarisme est pratiqué chez nous depuis dix ans. Le gouvernement parlementaire est devenu celui de la majorité du Parlement, et cette majorité a mis le pays en coupe réglée pour en tirer des avantages au profit de ses membres. Aujourd’hui, toute notre politique intérieure est là. Combien de fois ne l’avons-nous pas dit ! Et combien d’autres ne l’ont-ils pas dit avec nous !

M. Raymond Poincaré vient de le répéter à son tour dans une fête du travail organisée par la Fédération des syndicats patronaux de Belfort. Ces syndicats mériteraient une étude particulière ; ils fonctionnent au mieux, non seulement dans l’intérêt des patrons, mais dans celui des ouvriers qu’ils ont réussi à mettre d’accord ; M. Poincaré l’a assuré et nous aimons à le croire. Mais si la partie de son discours qu’il a consacrée aux syndicats patronaux de Belfort a été écoutée avec attention, celle où il a parlé de nos mœurs politiques et des remèdes à y appliquer a causé une impression encore plus forte. « Le Parlement depuis quelques années, a-t-il dit, se replie de plus en plus sur lui-même et ramène volontiers les frontières de France à l’espace compris entre le Palais-Bourbon, le Luxembourg et les antichambres ministérielles. Je vois à cet étrange phénomène deux causes principales. D’une part, pour un certain nombre d’hommes politiques, le mandat a cessé d’être une charge et un honneur, il est devenu une profession. Il y a des gens qui se font députés comme ils se feraient avocats ou médecins, j’allais presque dire comme ils se feraient cuisiniers et domestiques, pour avoir une bonne place et tacher de la garder… D’autre part, les servitudes électorales se sont développées et alourdies au point de paralyser les plus libres esprits… Les hommes les pluséminens, les caractères les plus fermes sont contraints de subir, à certaines heures, le joug écrasant des