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habile. Si la Chambre des lords rejette le budget, ce ne sera pas pour se mettre en opposition contre la volonté nationale, mais pour la connaître et en provoquer l’expression. Si le pays donne raison à M. Lloyd George et à M. Asquith, il va de soi que la Chambre des lords s’inclinera ; dans le cas contraire, le pouvoir passera en des mains nouvelles et la politique générale sera changée ; dans un cas comme dans l’autre, le pays, appelé à se prononcer par une sorte de référendum, aura le dernier mot. Mais s’il se prononce dans le sens de M. Balfour, s’il repousse la politique de M. Asquith, quelle est donc celle qu’il adoptera ? M. Balfour ne s’est pas borné à combattre la politique de M. Lloyd George, il a très nettement exposé la sienne, et on y a retrouvé, non sans quelque inquiétude, tous les traits de celle que M. Chamberlain avait essayé de faire prévaloir aux élections dernières. Comment oublier que le pays l’a repoussée alors à une majorité écrasante ? La politique du gouvernement, a dit M. Balfour, c’est le socialisme ; la nôtre, c’est la protection douanière ; entre les deux, le pays choisira. Certes, l’alternative est nettement posée, mais elle est cruelle.

Nous avons fort apprécié la partie de son discours où M. Balfour a critiqué et condamné le budget de M. Lloyd George. Il s’est demandé si c’était vraiment là, comme on l’a dit, le budget du « pauvre homme, » le budget qui, en surchargeant le riche, dégrèvera réellement le pauvre et le rendra plus heureux. Non, s’est-il écrié, car lorsqu’on détruit la richesse, lorsqu’on porte atteinte au capital, on tarit les sources auxquelles les pauvres viennent puiser. Il faut qu’il y ait quelque part, dans un pays, des richesses accumulées qui ne sont pas seulement le bien de ceux qui les détiennent, mais aussi de tous ceux qui en profitent. Le socialisme seul a une conception contraire, parce qu’il rêve d’un changement complet, d’une refonte intégrale de la société elle-même. Tous, riches ou pauvres, souffriront d’une réforme fiscale qui est appelée, en réalité, à devenir une révolution sociale. Tout cela est bien, mais que propose M. Balfour à la place ? Il propose, au moyen de la réforme douanière, de faire payer par l’étranger les 400 millions nécessaires à l’équilibre du budget, et il a l’air de dire : — Comme c’est simple ! Comment n’y a-t-on pas songé plus tôt ? Voilà le vrai budget du « pauvre homme, » puisque les étrangers seuls, notamment les Américains et les Allemands, verseront entre les mains des douaniers les 400 millions indispensables. — M. Balfour est-il bien sûr que les choses se passeront ainsi ? Est-il bien sûr que les droits de douane soient payés seulement, ou même soient payés surtout par l’étranger ?