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Cour. Il fallut, pour les y amener d’une manière plus fréquente, que la sœur du comte Jules, la comtesse Diane de Polignac, entrât, en qualité de « dame pour accompagner, » dans la maison de la Comtesse d’Artois et vînt s’établir au château. Sa belle-sœur, lui rendant visite, y rencontra la princesse de Lamballe et la Comtesse d’Artois qui, frappées de son charme, l’attirèrent l’une et l’autre dans leurs salons, où fréquentait la Reine. Ainsi naquit et se noua fortuitement l’intimité de la comtesse avec celle qui bientôt ne verra plus que par ses yeux.

Pour juger de la séduction d’Yolande de Polignac, il n’est qu’à constater l’accord des mémorialistes du temps. Tous, quelle que soit leur opinion, s’entendent pour célébrer son délicieux visage, pour admirer sa bouche menue et sa lèvre vermeille, son nez « un peu en l’air sans être retroussé, » ses yeux « d’un bleu céleste, » son « sourire enchanteur, » et cette chevelure bouclée flottant sur les épaules, et cette taille souple et svelte, harmonieusement aisée, et, plus encore que tout cela, l’air de bonté, de douceur, d’« innocence, » l’expression « angélique, » qui, après que les traits avaient ébloui les regards, attendrissaient et conquéraient les cœurs. Il faut joindre à ces dons un naturel parfait, une sorte de « grâce négligée, » une causerie, non pas étincelante, mais d’une simplicité enjouée qui tenait lieu d’esprit brillant et mettait les gens en confiance. Aucune ambition personnelle ; point d’avidité pour soi-même ; en revanche, une âme un peu molle et influençable, et, — par malheur pour elle comme pour la Reine — un dévouement à sa famille, à ses amis, à tout son entourage, qui fit d’elle l’instrument docile de gens intéressés à exploiter son crédit à la Cour. C’est la malchance de Marie-Antoinette que, répugnant par nature à l’intrigue, ayant pris pour amie une femme qui lui ressemblait sur ce point, elle ait servi les convoitises, les machinations, les rancunes d’un petit groupe d’hommes sans scrupules qui mirent en coupe réglée sa facile complaisance.

Tout le mal vint, à l’origine, de la façon dont la souveraine comprit et pratiqua les devoirs d’amitié. Qu’elle eût admis sa favorite dans son intimité, dans sa société familière, rien de plus naturel ; mais ce fut la Reine, au contraire, qui entra dans la société de la comtesse de Polignac et qui adopta ses amis[1]. Il

  1. Réflexions historiques, etc., par le Comte de Provence, passim.