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pour vous, et que c’est pour votre repos et pour votre gloire que je veux vous arrêter sur le bord du précipice où vous êtes tout près de tomber. Et quand vous aurez succombé, croyez-vous que je vous aimerais moins ? hélas ! non, mais cela me rendrait si malheureuse que je vous demande par pitié pour moi d’éviter ce malheur par la fuite la plus précipitée. Ah ! laissez-le, ma chère, à cette Nathalie, elle est digne de lui puisqu’il s’en accommode si bien. Pourquoi voudriez-vous qu’il ne fût pas à elle ? Quel mal cela vous fait-il ? et que de noirceurs ne vous ferait-elle pas si elle savait que vous l’aimez comme je le sais. Adieu, ayez soin de mon bonheur : il est entre vos mains.


Un peu rassurée sans doute par une lettre plus sage de son enthousiaste amie, Mme de la Tour du Pin lui écrivait quelques jours après, à propos d’une visite que Chateaubriand, — « son Walpole, » disait-elle, — avait promis de lui faire au printemps, « qu’il y aurait de l’affectation à le refuser. » « Je ne sais pas, disait-elle finement, ce qu’il pourrait penser lui-même du danger que vous craignez. » « Néanmoins, s’empressait-elle aussitôt d’ajouter, s’il doit y en avoir, si votre tête vous fait redouter de vous retrouver avec lui dans la solitude de la campagne, ne vous y exposez pas, ma chère, ne me parlez plus de votre vieillesse. Mme du Deffand avait certainement de l’amour pour M. Walpole, et elle avait soixante-dix ans. »

Mais à une nature aussi ardente que Mme de Duras, il était plus facile de prêcher le calme que de l’y ramener. Les multiples embarras d’argent de Chateaubriand, les attaques et les critiques dont il était l’objet, sa mobilité d’humeur, surtout peut-être l’inconstance de ses affections féminines, et les motifs de jalousie qu’il lui donnait, tout lui était sujet d’inquiétude et de trouble. A peu d’intervalle de là, Mme de la Tour du Pin lui écrivait encore la curieuse lettre de direction que voici :


Bruxelles, le 27 juin 1812. — Votre dernière lettre m’a fait une peine très sensible, bien chère amie : votre pauvre âme y est à découvert, et j’y vois un tumulte et un bouleversement épouvantables. Que faire pour calmer tous ces soulèvemens ? Et que je vous plains d’avoir une si mauvaise tête si vive, si facile à vous tourmenter ! Vous n’êtes pas contente de vous-même ; mais, chère amie, ce qu’il y a de mieux à faire, c’est de ne pas fouiller trop avant dans votre cœur. Laissez-le tranquille, et ne veuillez pas tout examiner, tout rechercher dans cet intérieur dont vous n’êtes pas contente ; tâchez de ne pas penser, et vous serez plus heureuse. Il n’y a presque pas de cœur qui supporte un examen journalier ; et cela n’est bien que lorsqu’on a reçu du ciel une grande force de répression et que l’on est assuré de réprimer et de détruire les mauvais désirs, les mouvemens condamnables que l’on y trouve. Mais regarder dans son cœur pour y