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ni très pitoyables au pauvre monde. Est-ce endurcissement, fatalisme ou indifférence ? Toujours est-il que, si le bon Mousslim, à la fois pieux et secourable, n’est point excessivement rare, les grands mouvemens de compassion et de solidarité humaine si fréquens, chez nous, dans les masses, ne se produisent, autant dire jamais, dans les masses musulmanes. « On ne saurait croire, — écrivait Gabriel Charmes, au lendemain de la guerre turco-russe, — jusqu’où les Turcs poussent la dureté de cœur. Des milliers de Musulmans qui avaient fui la domination russe sont morts à quelques heures de Constantinople, sur la côte d’Asie, sans qu’un seul ministre, un seul pacha, un seul membre de la société turque ait fait le moindre effort pour les sauver. Que dis-je ? Quand les Chrétiens organisaient des quêtes et des loteries afin de leur venir en aide, le gouvernement s’y opposait de son mieux, irrité de voir des infidèles arracher de vrais Croyans à la mort[1]. » Les choses n’ont pas changé depuis trente ans. J’ai vu à Damas, dans la cour d’une mosquée abandonnée, un campement de Tcherkess, dont le dénûment était inimaginable : troupeaux affamés, véritables bêtes fauves qu’on rechassait de partout ! Et il en passe ainsi des milliers, à travers les provinces asiatiques, sans que personne ait l’air de se soucier d’eux, sinon pour se défendre contre leurs rapines !

En présence d’une telle inertie, la tâche de nos missionnaires est toute tracée. Non seulement, ils font du bien, mais ils s’efforcent d’offrir aux Musulmans le spectacle et l’exemple des vertus chrétiennes : fraternité, renoncement, esprit de sacrifice, chasteté, pauvreté volontaires. Ils espèrent ainsi diminuer les haines, affaiblir la violence des préjugés anti-chrétiens. S’ils ne convertissent pas, ils ont à cœur de dissiper les malentendus qui écartent des Européens les Musulmans fanatiques, de préparer entre les uns et les autres un terrain d’entente. Sans doute, la pratique inflige bien des accrocs à ce programme tout idéal ; et il est facile de dauber sur les rivalités parfois sanglantes qui divisent les communautés chrétiennes. Bien loin d’édifier les Musulmans, elles seraient pour eux, nous dit-on, un objet de dérision avec leurs disputes, leurs contestations, leurs assommades perpétuelles. Mais, encore une fois, il convient de distinguer soigneusement les Latins des Chrétiens orientaux. La

  1. L’avenir de la Turquie (Calmann-Lévy), p. 312.