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LE PRINCE DE BÜLOW.

M. de Liszt semblait les ignorer en s’appropriant cependant certains articles de leur programme. Quant aux socialistes, directement pris à partie par l’Empereur, organisateurs au Reichstag d’une obstruction violente dirigée non seulement contre la Droite, mais contre tous les partis bourgeois, ils considéraient non sans dédain les divisions libérales pour les comparer à leur propre discipline. A eux, d’un mouvement instinctif, allaient d’avance les suffrages de tous les mécontens, de ceux qu’irritaient les interventions impériales, les exigences agrariennes, les affirmations répétées du Sic volo, les coalitions d’intérêts rétrogrades. Par la force des choses, à l’issue de ce grand débat où les forces de gauche avaient été vaincues, celles-là seules bénéficiaient de la faveur de l’opinion qui, du moins, dans leur défaite, avaient su faire preuve d’énergie et de vitalité. La Social-démocratie apparaissait, en dépit de ses excès théoriques et pratiques, comme le seul groupe d’opposition capable de mener la lutte. Et plus cette lutte, aux élections prochaines, serait accentuée, plus risquerait de grossir le succès socialiste.

Le chancelier sans doute s’en rendait compte ; car, le vote du tarif une fois enlevé, il s’abstint de tout acte, de tout discours de nature à préciser la plate-forme électorale et jusqu’au dernier moment refusa de jeter dans la mêlée la Wahlparole, le mot d’ordre, qui eût cristallisé les partis et accusé les positions de chacun. Huit jours à peine avant le premier tour, l’indifférence était générale. Chaque parti travaillait de façon autonome la matière électorale. Il n’y avait pas deux armées en présence, mais une poussière de groupemens qu’aucune unité venue de haut ne rattachait les uns aux autres. Le réveil fut déplaisant. Au lendemain des ballottages, les socialistes remportaient un succès qui dépassait les plus audacieuses espérances que leurs chefs avaient pu concevoir. Au lieu de 58 sièges, ils en détenaient 84. Les conservateurs proprement dits et les conservateurs libres gardaient leurs positions. Le Centre catholique perdait deux sièges, mais restait avec 103 voix le groupement le plus fort du nouveau Reichstag. Les deux groupes libéraux perdaient, celui de M. Barth 5 sièges, celui de M. Richter 8 sièges. En seize ans, les socialistes étaient passés de 11 à 84, réunissant 2 911 317 suffrages, soit 800 000 de plus qu’en 1898. Berlin, Brème, Hambourg, Kiel, Essen, Bochum, tous les grands centres du corps allemand, leur appartenaient. En Saxe, ils avaient obtenu à