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été voté, mais le home rule. La Chambre des Lords, au lieu d’apparaître comme l’adversaire d’un budget où les intérêts d’un grand nombre de ses membres étaient engagés, apparaîtra comme l’adversaire du home rule, c’est-à-dire d’une question où les intérêts vitaux de l’Empire sont en cause. Les Irlandais revendiquent le droit de s’administrer et de se gouverner eux-mêmes ; mais il faut, pour atteindre ce résultat, qu’ils exercent aujourd’hui une action toute-puissante sur le gouvernement britannique, qu’ils le brisent dans ses élémens traditionnels, qu’ils l’adaptent à leurs intérêts particuliers. Si la question se présente dans ces termes à la prochaine campagne électorale, les conservateurs se seront montrés des manœuvriers habiles. Mais on n’en est pas encore là.

Se sentant les maîtres, les Irlandais entendent tirer de cette situation, qu’ils ne retrouveront peut-être jamais plus, tous les avantages qu’elle comporte. Ils sont divisés entre eux, mais dans des proportions très inégales : le gros du parti est conduit par M. Redmond, la petite minorité par M. O’Brien. La minorité, qui ne peut rien par elle-même, est, dans son intransigeance, un embarras pour la majorité et elle la pousse. S’il était tout à fait livré à lui-même, il est difficile de savoir ce que ferait M. Redmond, mais il s’en faut de beaucoup qu’il le soit. Sans parler du petit groupe qui obéit à M. O’Brien, il a derrière lui l’Irlande entière qui regarde comme onéreux pour elle le budget de M. Lloyd George, et n’accepte qu’il soit voté par ses représentais que sous condition. C’est la politique du do ut des, donnant donnant, dans toute sa rigueur. Les Irlandais sont défians ; ils demandent des garanties sérieuses qu’ils ne seront pas trompés ; ils exigent que la question de la Chambre des Lords soit réglée avant celle du budget. Une fois le budget voté, le gouvernement n’aurait plus besoin d’eux, et ils le jugent parfaitement capable de leur fausser compagnie. C’est pourquoi M. Redmond, dès le lendemain des élections, a prononcé à Dublin un discours retentissant dans lequel il a signifié au gouvernement que les Irlandais prendraient eux-mêmes l’initiative de rompre si, avant toute autre chose, le veto des Lords n’était pas supprimé. Le discours de M. Redmond a produit un grand effet : on se demandait quel compte en tiendrait le gouvernement ; on attendait l’ouverture de la session avec impatience ; on se préoccupait surtout de ce que dirait le discours du Roi : c’est là qu’on verrait enfin la pensée ministérielle dans sa foi me définitive. En attendant, les Conseils des ministres se multipliaient, les groupes s’agitaient, mille nouvelles couraient en sens divers, mais on ne savait rien.