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n’est pas sa personnalité qui lutte, mais l’amour même de Dieu. Et si l’amour humain, dans le cœur où il existe d’abord avec trop de force, est un obstacle à l’amour divin, celui-ci ne saurait menacer la passion qu’il n’a pas empêchée de naître dans un cœur pur, où elle ne se rencontre qu’avec Dieu. Mais telle n’est pas sans doute la pensée de Mme Ward. Si nous rapprochons les deux dénouemens de Robert Elsmere et de Helbeck de Bannisdale, il semble bien que l’auteur ait voulu opposer à la foi vivifiante du premier le mysticisme mortel du second, au christianisme purement humain des temps nouveaux le catholicisme périmé des âges révolus. Helbeck a abdiqua sa personnalité et Laura a cherché dans le suicide un refuge contre l’asservissement. Robert a trouvé dans sa foi élargie et renouvelée les moyens d’une vie plus féconde et plus large. Il a vraiment vécu et aidé les autres à vivre. N’est-ce pas la fin suprême de la religion ?


II

C’est aussi la fin suprême de l’amour.

L’amour, dans Robert Elsmere et dans Helbeck de Bannisdale, n’était considéré, si l’on peut dire, qu’en fonction de la religion. Nous suivons avec émotion le contre-coup de la crise religieuse de Robert dans la tendre intimité de son foyer ; nous nous demandons ce que feront de la passion partagée à laquelle il s’abandonne enfin l’intransigeante piété de Helbeck et ses pratiques d’ascète. Ce n’est pas à ces deux œuvres qu’il faut demander ce que Mme Ward pense de l’amour. Trois de ses romans nous renseignent à cet égard d’une manière aussi explicite et complète que possible : Marcella, La Fille de lady Rose et Le Mariage de William Ashe[1].

« Mariée ou non, une femme est tenue d’entretenir comme un feu sacré sa propre individualité. » Si c’est là une opinion féministe, le féminisme peut revendiquer Mme Ward, car cette idée domine sa conception de l’amour et du mariage. La femme peut aimer et être aimée sans abdication ni anéantissement. Il

  1. Ces trois romans ont été traduits en français : le 1er, par Mlle de Mestral-Combremont (1 vol., Fischbacher) ; le 2e, par Th. Bentzon, ici même (1 vol., Hachette) et le 3e, sous le titre l’Erreur d’aimer, par Mlle de Mestral (1 vol., Hachette).