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DIMANCHES ANGLAIS CONTEMPORAINS.

William Ashe à Kitty Bristol. Celles-là aussi sont dans des situations fausses : l’une, lectrice et dame de compagnie ; l’autre, fille d’une aventurière ; et les deux jeunes hommes sont aux premiers rangs du monde, héritiers de grands noms et de grandes fortunes, avec autant de mérite personnel que de naissance. Ils sont dédaignés et méconnus jusqu’au jour où les leçons de la vie ont rendu Marcella et Julie dignes de les comprendre, de les aimer. Leur abnégation reçoit sa récompense. Pour s’être donnés tout entiers, ils les voient venir à eux de toute leur âme ; pour n’en avoir pas forcé l’éclosion, ils goûtent enfin la plénitude de l’amour.

Dans Le Mariage de William Ashe, la cause est perdue, c’est la faillite, parce qu’une des deux individualités est anormale, maladive. Kitty est impulsive, irresponsable. Mme Ward a soin de nous prévenir que le mal est héréditaire : la pauvre enfant le tient d’un père déséquilibré, et ce n’est point une éducation sans tendresse, puis l’exemple d’une mère intrigante et frivole qui en combattront les effets. Il n’y a pas, cette fois, une individualité en présence d’une autre, mais une force aveugle en face d’une volonté réfléchie qui ne peut rien sur elle. William est victime de l’erreur qu’il a commise en épousant Kitty. Noble erreur pourtant, où le charme de la jeune fille n’entrait que pour une part. Les plus généreux sentimens portèrent au secours de cette enfant en péril, qu’il fallait défendre contre les autres et contre elle-même, cet homme bien armé et maître de lui, qui jouissait du « sentiment enivrant de son pouvoir et de sa force. » Il ne la sauva point, sans doute parce qu’elle ne pouvait pas être sauvée. Mais on peut se demander si lui-même était bien l’homme d’une pareille situation. Sans doute, Aldous Maxwell et Jacob Delafield avaient affaire à des natures plus saines, plus normales, plus capables d’adaptation à la vie, jeunes plantes un peu sauvages et rebelles, qui ne demandaient que des soins habiles et de la culture. Kitty est une force destructive, qu’on ne peut ni retenir, ni transformer. Comment serait-il possible de construire quelque chose avec elle ? Avec une intuition très sure et beaucoup d’art, Mme Ward a opposé à Kitty un très curieux personnage, qui contribue à nous expliquer la défaite finale. Nous sentons, derrière la réserve d’Aldous et de Jacob, une inaltérable conviction, une foi profonde. Il y a du détachement dans la confiance et dans la patience de William, presque du