Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 56.djvu/401

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
395
UNE VIE D’IMPÉRATRICE.

Charlotte de Prusse, lui trace en ces termes la conduite qu’elle devra tenir à la Cour : « Ma mère, lui écrit-il, pourra vous donner de bons conseils, qu’avec la meilleure volonté il m’est impossible de vous donner. Relativement à l’impératrice Élisabeth, toute attention, politesse et respect, mais pas la moindre confiance dans aucun cas ; pour l’Empereur, tout respect, confiance entière, et la plus grande amitié. » Il fallait dès le début de cette étude mettre en relief ce trait significatif, parce qu’il aide à comprendre comment et pourquoi peu à peu allaient se restreindre la place et l’influence de l’Impératrice à la Cour. Son caractère et sa volonté y furent pour beaucoup, mais les circonstances plus encore.

Cet avenir était peu visible au moment où elle montait sur le trône. En ce changement de règne où tout est tragique, elle avait déployé une énergie virile et, comme je l’ai dit précédemment, dans la nuit de trouble et d’horreur qui suivit la mort de Paul Ier, elle fut, de l’aveu de plusieurs témoins, une médiatrice courageuse entre son époux, sa belle-mère et les conjurés qui venaient par des moyens criminels de délivrer la Russie d’un joug odieux. Reconnaissant de ce qu’il lui devait, Alexandre lui continua les témoignages de sa confiance et de sa tendresse, tels qu’elle les avait reçus de lui pendant le règne précédent, alors que le despotisme qui régnait sur eux contribuait si vivement à les tenir rapprochés et unis. Pendant ce temps, elle avait été, en tant qu’épouse, entièrement et complètement heureuse, sans voir encore combien la mobilité d’Alexandre, sa faiblesse devant sa mère, les influences nouvelles qu’il allait subir menaçaient ce fragile bonheur.

Il paraît avoir été à son comble lorsqu’en 1801, quelques semaines après son avènement, l’Empereur, pour faire plaisir à sa femme, invite sa belle-famille à venir passer quelque temps en Russie. L’Impératrice a la joie de voir arriver à la Cour son père, sa mère, son frère et deux de ses sœurs. Elle est allée au-devant d’eux jusqu’à Kaskovo ; elle les ramène à Saint-Pétersbourg où elle les garde pendant tout l’été et jusqu’à la fin d’août. Elle les quitte seulement alors, appelée avec l’Empereur à Moscou où doit avoir lieu le couronnement des nouveaux souverains de Russie. Au mois de décembre de la même année, son père meurt à la suite d’un accident de traîneau. C’est pour elle un coup terrible. Mais elle surmonte sa douleur pour con-