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nez-moi si ma lettre n’a pas le sens commun… Mon Dieu ! ce départ, j’y reviens toujours, c’est que je suis encore trop remplie et le souvenir de la tendre amitié que l’Empereur m’a témoignée ces derniers temps vient achever de m’attendrir. » Malheureusement, ce beau retour fut de brève durée et comme nous l’avons déjà dit, l’influence de la maîtresse redevint toute-puissante. Mais, du moins, l’Impératrice avait-elle de quoi se consoler. Pendant l’année 1807, et durant les premières semaines de 1808, « sa petite Lisinka » tient la plus grande place dans sa correspondance. Du matin au soir, elle s’occupe d’elle ; elle n’a qu’elle devant les yeux et les détails qu’elle envoie à sa mère pour la tenir au courant des progrès de l’enfant nous donnent la mesure du bonheur qu’elle en conçoit. En octobre, se trouvant à Kamenoï Ostrof par un temps superbe, elle écrit :

« J’en suis bien charmée pour la petite qui en profite autant que possible, et je ne sais si c’est cette raison qui la rend d’une gaîté folle depuis que nous sommes ici ; si Dieu la conserve telle qu’elle est, elle sera d’une vivacité difficile à contenir et qui me donnera souvent de belles frayeurs. Sa bonne, qui est du double plus forte que moi, a souvent de la peine à la tenir tellement elle est remuante et vigoureuse dans ses mouvemens. » — « Les nouvelles de Lisinka sont bonnes. Depuis une dizaine de jours qu’elle a adopté une manière de se promener sur son derrière, elle fait ainsi presque tout le tour de sa chambre, elle ne sait pas aller à quatre pattes, mais elle va très vite à sa manière. »

À cette époque, l’Impératrice reçoit la nouvelle de la mort de son amie la plus chère, la princesse Natalie Galitzine. La défunte laisse une fille en bas âge. L’Impératrice se promet de l’adopter afin de la donner pour compagne à la sienne. « Depuis que nous sommes au Palais d’hiver, Lisinka a fait connaissance avec Lise Galitzine, mais il a fallu trois jours pour cela : elle ne se jettera pas à la tête de ses nouvelles connaissances, et tant mieux ! La première entrevue l’a mise de la plus mauvaise humeur. La pauvre Lise, qui a une petite tournure civilisée, a fait beaucoup de frais et voulait embrasser Lisinka qui a des manières extrêmement brusques et quelque chose de rustre et l’a repoussée vigoureusement. Si l’on peut juger d’un enfant de cet âge, elle promet du caractère ; ah ! Dieu veuille qu’elle en ait ! La seconde entrevue était un peu mieux et, à la troisième, elle paraissait déjà trouver du plaisir à voir sa petite compagne. Il me tarde de les