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gouvernement impérial contre Rome et la hiérarchie catholique, il ne s’est point, comme d’autres gouvernemens, laissé aveugler par ses passions ou ses préjugés antiromains. Son aversion pour Rome et pour le « latinisme » ayant une origine politique plutôt que des antipathies confessionnelles, aucun fanatisme religieux ou irréligieux ne lui a interdit d’entrer en relation avec le Vatican, lorsque la politique et les intérêts de l’Empire lui conseillaient de négocier avec le Saint-Siège. Pour sortir de ses difficultés avec ses sujets catholiques et avec la hiérarchie romaine, Pétersbourg n’a eu garde d’ignorer Rome et la constitution de l’Eglise latine. Les tsars orthodoxes, protecteurs nés de l’orthodoxie orientale, ne se font pas scrupule d’entretenir, officiellement, aux bords du Tibre, une légation impériale auprès du Souverain Pontife, dépouillé de sa couronne temporelle. Supprimée, durant quelques années, sous le pontificat de Pie IX, cette légation de Russie auprès du Vatican a été rétablie par le plus national des tsars russes, l’empereur Alexandre III. Et, depuis lors, le gouvernement impérial a eu soin d’y appeler des diplomates de haut mérite, tels que M. Izvolski, aujourd’hui ministre des Affaires étrangères, M. Goubastof, naguère adjoint du ministre, M. Sazonof, appelé récemment au même poste. Entre les envoyés du tsar orthodoxe et les ministres du pape romain, représentant deux puissances en antagonisme séculaire, les difficultés sont grandes et tout accord malaisé. En dépit de leur mutuelle bonne volonté, les négociations sont loin de toujours aboutir à une entente. Chaque nomination d’évêque est une affaire épineuse dont la solution exige beaucoup de tact et de patience. Les évêques une fois nommés et installés, il arrive souvent que le gouvernement russe les éloigne de leur siège épiscopal, pour des motifs politiques, sans que le Vatican consente à les déposer ou à les remplacer. Ainsi, en ces dernières années, du baron de Rops, évêque de Vilna et député de son diocèse à la première Douma. Mais alors même que les négociations ne réussissent pas à son gré, le gouvernement russe se garde de rompre les relations avec le Saint-Siège ; l’expérience lui a enseigné que, en ces délicates et irritantes querelles ecclésiastiques, les gouvernemens les moins inféodés à Rome ont tout avantage à demeurer en contact avec le chef suprême de l’Eglise.