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Ces défiances israélites restent-elles absolument justifiées ? Le nouveau régime prétend faire de la Russie un Etat moderne ; il est malaisé qu’il laisse toujours debout les lois d’inspiration médiévale qui emprisonnent cinq millions de sujets du Tsar dans les provinces de l’Ouest, comme derrière les murailles d’un énorme ghetto. Ces murailles, il est vrai, les fils d’Israël ne peuvent s’attendre à les voir s’écrouler d’un coup, à la voix de quelques tribuns de la Douma, comme autrefois les murs de Jéricho, au son des trompettes de Josué. On ne saurait, aujourd’hui, songer à une loi à la française, abrogeant, d’un trait de plume, toute cette confuse législation exceptionnelle, qui varie selon les personnes et les provinces, étant différente dans le royaume de Pologne et dans l’Empire. Mais, de ce qu’il nous est interdit de réclamer ou d’obtenir une entière et brusque suppression de ce fatras de lois bizarres, suit-il qu’on n’en puisse espérer la modification partielle, l’allégement progressif ? A tout peser, peut-être serait-ce même là, pour les Juifs comme pour les chrétiens, la meilleure méthode, la méthode politique, celle qui, en ménageant les transitions, apporterait le moins de trouble dans les relations économiques, comme dans la vie nationale.


IV

Parmi les Russes éclairés, rares sont ceux qui ne sentent pas l’importance de cette question juive, rares ceux mêmes qui n’admettent pas que le gouvernement ait le devoir d’en préparer la solution. Les hommes au pouvoir sont souvent les premiers à le reconnaître, au moins en principe, alors même qu’ils n’osent ou qu’ils ne peuvent mettre eux-mêmes la main à l’œuvre. La chose est d’autant plus nécessaire, on pourrait dire d’autant plus urgente que, au lieu de s’être améliorée au cours de ces trente dernières années, la situation légale des Juifs de Russie a singulièrement empiré. Elle est, aujourd’hui, au début du XXe siècle, incomparablement plus mauvaise qu’au milieu du XIXe siècle, sous le règne de l’empereur Alexandre II, avant qu’Ignatief, inspiré de Katkof, n’eût découvert que, pour vaincre la révolution, il n’y avait qu’à mater les Juifs. Le recul est si marqué que, pour apporter un allégement sensible aux tracasseries, aux vexations dont souffrent le plus les Juifs russes, il n’y aurait qu’à laisser tomber les lois ou les règlemens