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été les principaux inspirateurs et entrepreneurs, sinon toujours les agens le plus en vue, de ce que Pétersbourg et Moscou se plaisaient improprement à nommer « la révolution russe. » Au lieu d’une révolution russe, il n’y aurait eu qu’une révolution juive ; c’est pourquoi, n’étant pas nationale, elle n’a pu triompher. Sans les intellectuels juifs et sans l’argent juif, l’immense Empire fût demeuré éternellement endormi sous le sceptre paternel du Tsar autocrate ; ni la lointaine canonnade de Moukden, ni la mitraille de Tsoushima n’eussent réussi à le réveiller.

C’est là, y faut-il insister ? une vue d’un optimisme enfantin. La vaste Russie fût demeurée tout entière, comme ses provinces intérieures, à l’abri de la contagion de « l’esprit juif, » que les abus de son administration et le contact avec l’Europe eussent suffi à faire lever, chez elle, avec des idées nouvelles, des aspirations libérales. Certes là, comme en plus d’un autre pays, les Juifs méprisés et opprimés ont, par le fait même de leur oppression, souvent agi comme un ferment révolutionnaire, comme le bacille de la révolution ; mais il en eût été de même de toute population soumise aux lois vexatoires auxquelles étaient et demeurent encore astreints les millions d’Israélites de l’Empire. S’il est vrai que dans les rangs des partis d’extrême gauche, parmi les révolutionnaires qui ont compromis la révolution, il s’est rencontré trop d’Israélites, la faute en est moins à l’esprit juif qu’aux lois russes, à ces lois qui, en leur refusant l’égalité et la liberté civiles, poussaient des hommes dépouillés de tous droits vers la révolution, vers les sociétés secrètes, vers les conspirations. Le plus sûr moyen d’enlever les masses Israélites à la propagande révolutionnaire eût été, tout simplement, de leur accorder les mêmes droits qu’à leurs concitoyens, ou mieux à leurs co-sujets chrétiens.

Il n’est pas juste du reste que tous les Juifs de l’Empire fassent cause commune avec les socialistes, et moins encore avec les conspirateurs et les terroristes. Si nombre de Juifs russes sont infectés de tendances anarchiques, loin de les avoir apportées en Russie, ils les ont eux-mêmes empruntées à l’atmosphère russe, à « l’intelligence » russe, à ce qu’on appelait naguère le nihilisme. En fait, d’ailleurs, les Juifs les plus détestés ou les plus redoutés des « Hommes Russes » et des absolutistes, ce ne sont ni les révolutionnaires ou les socialistes du Bund, ni les Sionistes qui rêvent d’une République juive ; ce sont les