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de l’amour que la foule des amans et qu’ainsi il est temps que je vienne parce que je ferai toujours nombre. Ayez plus d’économie et de ménage. Gardez quelque chose pour l’avenir ; j’attendrai quinze ou vingt ans, si vous voulez. Je me passerai à un peu moins d’éclat que vous n’en avez aujourd’hui ; je vous relâche cette extrême vivacité dont est votre teint ; aussi bien il y a beaucoup de superflu dans votre beauté ; je ne veux que le nécessaire, que vous aurez toujours. Quand vous me donnerez le temps que je vous demande, ce n’est qu’un temps que vous auriez donné aux réflexions. Encore puis-je me flatter que je vaux mieux qu’elles. Les plus petits sentimens valent mieux que les plus belles réflexions. Au lieu de rêver creux ou de ne rêver à rien, vous pourrez rêver à moi. Adieu, madame, jusqu’à nos amours. »

Il ne faut pas dire que Marivaux est uniquement le fils intellectuel de Racine, encore que cette filiation soit exacte. Il tient beaucoup de Fontenelle aussi. Le précieux spirituel a été inventé par Voiture, perfectionné par Fontenelle, affiné et mêlé d’une jolie sensibilité par Marivaux ; mais son histoire tient bien dans ces trois règnes. Ce que Fontenelle a particulièrement pour lui, c’est que, maître en précieux, il savait y échapper et n’était pas de ces seigneurs qui sont dominés par leur domaine. Le chevalier d’Her... était de temps en temps, nonchalamment, un haut philosophe. Du moins Nietzsche en est persuadé. Quant à Sainte-Beuve, je ne sais pas au juste s’il a mis Fontenelle à côté de Goethe pour élever celui-là, ou pour déprécier celui-ci.


ÉMILE FAGUET.