Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 56.djvu/584

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ministre. Je vous prie de me faire savoir ce qu’il deviendra parce que ce sera, d’après votre réponse, que j’en solliciterai, par un réquisitoire, la vente auprès du directoire du district de Versailles si vous ne le prenés pas pour le jardin national à Paris ; on m’en a déjà offert de l’argent ; mais j’aimerais que, dans les mains d’un philosophe comme vous, il devienne un objet d’instruction publique. » Couturier ajoutait en post-scriptum : « J’ai vu le ministre, qui m’a dit de me concerter avec vous pour les trois animaux qui me restent : le lion, le bubale et le rhinocéros. » Bernardin se décida alors à venir à Versailles en compagnie de Desfontaines, professeur, et de Thouin, jardinier en chef au Muséum ; il raconta sa visite dans un Mémoire qu’à son retour il adressa à la Convention. Le chien, dans la loge du lion, fit sur lui une vive impression. « Dès qu’il nous aperçut, dit-il, il vint avec le lion à la grille, nous faisant fête de la tête et de la queue. Pour le lion, il se promenait gravement le long de ses barreaux contre lesquels il frottait sa tête énorme. L’air sérieux de ce terrible despote et l’air caressant de son ami m’inspirèrent pour tous deux le plus tendre intérêt. Jamais je n’avais vu tant de générosité dans un lion et tant d’amabilité dans un chien. Celui-ci sembla deviner que sa familiarité avec le roi des animaux était le principal objet de notre curiosité. Cherchant à nous complaire dans sa captivité, dès que nous lui eûmes adressé quelques paroles d’affection, il se jeta d’un air gai sur la crinière du lion et lui mordit, en jouant, les oreilles. Le lion se prêtant à ces jeux baissa la tête et fit entendre de sourds rugissemens... »

Bernardin de Saint-Pierre demanda dans son Mémoire que la République utilisât les derniers animaux du Roi pour en faire le noyau d’une ménagerie nationale. Mais le moment était vraiment peu favorable pour des dépenses nouvelles ; aussi les animaux restèrent-ils encore cette année 1793 à Versailles ; on dépensa alors pour leur nourriture et leur entretien 392 livres 12 sous, le salaire du garçon de cour surnuméraire étant compris dans cette somme. Cependant les professeurs du Muséum ne restaient pas inactifs. Ils demandaient instamment que la ménagerie de Versailles fût supprimée et que « les fonds cy-devant affectés à l’entretien de cette ménagerie fussent appliqués à la ménagerie du Muséum. » Ils arrivèrent à leurs fins en 1794, mais après combien de démarches au ministère et