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Sa belle humeur émanait d’une gravité foncière. Elle riait de se sentir brave. Elle avait, comme tant de filles suédoises, cette ambition d’apostolat dont il semble que, dans leur guerre d’émancipation, elles aient dépouillé les hommes. Chaque fois qu’elle retournait en son Helsingland, elle reprenait sa campagne contre l’alcoolisme dont elle avait vu les ravages et dont la seule idée lui donnait la fièvre. Un jour que nous revenions sur la question du mariage, elle me déclara qu’elle n’épouserait jamais un homme qui ne fût point absolutiste.

— Je parie, lui dis-je, que vous n’avez même pas goûté à notre Champagne !

— Ne pariez pas : j’en ai bu, et cela m’a fait très grand plaisir. Mais j’ai renoncé à tous les vins, car, si j’en buvais à Upsal, je n’aurais plus le droit de répéter à nos paysans que rien au monde ne leur est aussi funeste.

Les jours, les semaines s’écoulaient. Je voyais chaque soir s’étendre la lumière du printemps qui allait bientôt régner sur toutes les heures du jour et de la nuit. Chaque soir, la verdure me cachait davantage les toits de la ville : mais le château les dominait. Dès deux heures du matin, sa façade de briques luisait d’un rose vif, et, sous le ciel plus bleu qu’une prunelle de vierge, ses fenêtres éblouissaient. La végétation qui en descendait me paraissait opaque et dense, comme si elle se ramassait sur elle-même pour faire un somme dans la clarté. On me disait que les alouettes chantaient posées sur les tertres, par toute la campagne. Je ne les entendais point ; mais j’entendais le troupeau de Mlle Elsa, et le ramage des oiseaux dans les forêts de Helsingland ; et, moi aussi, je tombais de sommeil, et j’aurais bien voulu trouver, sous le bois des sagas, le lit de mousse où l’on s’endort...

Chère demoiselle Elsa ! Jadis, quand un étranger débarquait chez un roi du Nord, c’était la fille de la maison qui lui présentait la coupe et qui lui faisait goûter le breuvage du pays. Dans l’ordre spirituel, les filles de la Suède ont un peu retenu de cet antique usage. C’est par elles que j’ai le mieux connu les vertus de leur terroir : la simplicité du cœur, la probité de l’esprit, l’indépendance du rêve, et surtout cette poésie secrète et fantasque qui mêlait, dans la coupe que vous m’avez tendue, à la saine amertume du houblon cultivé, l’étrange petit goût des sombres baies mûries au soleil du soir.