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Ecclésiastiques et laïques, hiérarques mitres et ministres du Tsar, croyans et incroyans, s’interrogeaient, presque également, sur son avenir, se demandant quelles réformes urgentes pouvaient être apportées à ses institutions, sur quelles traditions anciennes, ou sur quels principes nouveaux, devait être reconstruit le vénérable édifice qui avait abrité la naissance et la croissance du vaste Empire. Les idées les plus diverses, les thèses les plus contraires surgissaient et s’entre-choquaient dans le clergé, parmi les prêtres et parmi les moines, entre les protopopes et les archimandrites, comme chez les fidèles et parmi les politiques.

Deux courans opposés se partageaient les âmes religieuses et les entraînaient en sens contraire, menaçant de déchirer l’unité de l’Eglise, d’introduire en son sein l’esprit de dispute et de division, sinon l’esprit d’indiscipline et de révolte qui sévissait partout autour d’elle. On vit alors combien de diversités morales et de tendances divergentes recouvrait, en les dissimulant, l’uniformité apparente maintenue, du haut en bas de la hiérarchie, par la lourde pression mécanique de l’administration officielle. Les uns, effrayés du mouvement profond qui semblait soulever toutes les classes de la nation à la fois, au risque de bouleverser l’Etat et de renverser le trône, voulaient relever le clergé et fortifier l’Eglise, afin qu’Eglise et clergé reprissent sur le peuple leur influence ancienne et pussent redevenir, pour l’Etat et pour le Tsar russe, d’utiles et efficaces auxiliaires, dans la lutte contre « l’intelligence » sceptique et contre la révolution destructive. Les autres, ouverts aux idées nouvelles, en contact plus étroit avec les masses, avec le moujik des campagnes ou avec l’ouvrier des villes, rêvaient de rajeunir l’Eglise en en démocratisant à la fois l’esprit et les institutions, en la ramenant aux pures maximes évangéliques, en enlevant à Tolstoï et aux sectes populaires le monopole et le bénéfice des interprétations égalitaires ou socialistes, voulant, eux aussi, fortifier l’Eglise et relever le clergé, mais afin de les mettre au service des idées nouvelles de rénovation politique ou de transformation sociale.

Si contraires que fussent ces deux tendances, toutes deux du reste, tantôt ardentes et téméraires, tantôt prudentes et modérées, il y avait un point où elles convergeaient, sur lequel toutes les aspirations de réformes semblaient d’accord, la nécessité de rendre la vie à l’Église, de lui rendre la spontanéité avec la liberté, ce qui n’était possible qu’à condition de briser ou au