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en 1902 les King-Edward VII de 16 500, en 1906 le Dreadnought officiellement de 17 900, mais en réalité plus lourd de beaucoup. Le Lion, qu’elle met actuellement en chantier, déplacera 26 000 ou 27 000 tonneaux. Les États-Unis, qui commençaient en 1906 le Michigan de 16 256, en 1907 le Delaware de 20 320, en 1908 l’Utah de 22 174, en 1909 l’Arkansas de 26 416, étudient un bâtiment qui atteindrait, dit-on, 30 000 tonneaux[1]. La marine italienne aurait enfin demandé, il y a quelques mois, à l’auteur de ses principales unités modernes, les plans d’un cuirassé de 32 000 tonnes. Et partout, sur le pourtour des Océans, les puissances les plus diverses cèdent au même entraînement. En dépit des profondeurs insuffisantes de leurs eaux littorales, comme l’Allemagne, en dépit de leurs faibles intérêts maritimes, comme l’Autriche, ou de leurs difficultés budgétaires, comme tant d’autres, elles abordent l’armement de « mastodontes » analogues. Les marines de second ordre, qui ne peuvent entretenir que peu de bateaux, les veulent grands. Celles de premier ordre, au lieu de poursuivre, par le nombre seul des unités de ligne, une supériorité compatible avec plus de souplesse dans la distribution des effectifs, cherchent à l’envi dans l’accroissement des dimensions le moyen de maintenir leur domination sur les mers.

Il faut donc croire que des motifs inéluctables poussent les marines du monde entier dans cette voie des grands déplacemens. Quels sont ces motifs ? Ils n’ont pas toujours apparu dans leur évidence. Il y a quelque vingt ans, un ministre de la Marine déclarait infranchissable la limite de 12 000 tonneaux ; huit ans ne sont pas écoulés depuis qu’un de ses successeurs plaçait aux environs de 16 000 une seconde barrière imaginaire ; mais il suffisait de peu de mois pour que les faits vinssent le démentir. L’instrument de la guerre navale croît avec une persistance dont on ne peut manquer d’être frappé. Il faut nous demander pourquoi.

  1. On télégraphiait de Washington à l’Agence Havas, le 27 février 1910 : « Dans la séance privée de la Commission de la Chambre des Affaires navales, le secrétaire pour la Marine, M. Meyer, a annoncé qu’il solliciterait l’autorisation de faire mettre en chantier en 1911 un navire cuirassé de 32 000 tonnes. Au cours de la discussion qui s’en est suivie, un membre de la Commission a fait connaître que le gouvernement avait reçu une information de source non officielle, aux termes de laquelle le Japon aurait commencé déjà la construction de deux vaisseaux de guerre de 32 000 tonneaux environ. »