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que les associations analogues ; leur attention s’attache à l’appareil étrange et dramatique dont il leur plut de s’entourer, poisons et poignards, masques et manteaux ; on les trouve théâtrales, un peu ridicules ; volontiers on renverrait ces conspirateurs trop tragiques aux drames romantiques d’où ils ont l’air de sortir. Ces « charbonniers « étonnent. Mais rien de tout cela n’est l’essentiel. L’essentiel, c’est l’affirmation d’une volonté italienne contraire à la volonté des oppresseurs ; c’est le besoin d’union, qui franchit les barrières provinciales, c’est l’idée d’une patrie qui sera libre quand elle ne sera plus divisée ; c’est la passion qui succède à l’apathie ; c’est la révélation d’une force, d’autant plus troublante qu’elle ne se montre pas, et qu’on la sent toujours présente sans qu’on puisse jamais la saisir. C’est comme le levain de l’Italie future. Seulement, ces sociétés secrètes n’échappent pas au défaut ordinaire des associations faites pour détruire : elles se trouvent incapables de créer. Leur programme, étant négatif par essence, manque par essence de données positives. Il ne suffit pas de dire : « Je jure une haine éternelle aux tyrans ; je jure de les détruire jusqu’à leur dernier rejeton, de toutes les forces de mon esprit et de mon bras ; je jure de rétablir le règne véritable de la liberté et de l’égalité, » pour organiser une action politique ; de même qu’il ne suffit pas de dire : « Je travaillerai de toutes mes forces, fût-ce au prix de ma vie, à la promulgation de la loi agraire, sans laquelle il n’y a pas de liberté ; car la propriété individuelle est un attentat contre les droits du genre humain, » pour organiser une action sociale. On flotte, on hésite ; on ne sait même pas au juste quel régime on aurait voulu substituer à l’absolutisme. On laisse voir que dans cette tyrannophobie, il y a trop de ce qu’on apprend à l’école, et pas assez de ce qui est nécessaire à la vie. Ces programmes qui manquent de précision, manquent de réalité : quand on passe des paroles aux faits, on échoue. La révolution napolitaine de 1820 et la révolution piémontaise de 1821, dont nous n’avons pas à retracer ici l’histoire, en sont la preuve évidente : elles se traduisent, le premier élan d’enthousiasme une fois calmé, par la restauration du pouvoir qu’on voulait abolir, et par un redoublement de despotisme. L’action secrète qu’on prépare apparaît, quand elle se manifeste, comme incertaine, inexpérimentée, prématurée. Utile à titre de leçon pour l’avenir, elle demeure présentement sans résultats. Elle n’ébranle pas la