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pas de la même façon ? Les lecteurs italiens ne se plaisent-ils pas à trouver, dans l’exemple de ce révolté, un encouragement à la révolte ? Et c’est encore le même état d’esprit qui fait mieux comprendre, par contraste, l’attitude de l’Italie à l’égard de l’Autriche. Nous ne constatons plus la passivité sinon joyeuse, au moins tranquille, qui régnait avant la conquête française : nous voyons croître, au contraire, un sentiment de haine, que l’impuissance exaspère. Comme la politique de l’Autriche, au delà des frontières de ses possessions, s’étend à toute l’Italie, la haine de toute l’Italie retombe sur elle. Elle pénètre si profondément dans les esprits, qu’au moment où les raisons qui la provoquent auront disparu, elle ne disparaîtra pas. Le problème de l’irrédentisme serait aujourd’hui moins aigu, s’il ne se compliquait de cette hérédité.

De tous ces rapports, les plus curieux peut-être sont ceux que l’Italie entretient avec la France. Que les nationalistes invectivent la Russie, qui est l’âme de la Sainte-Alliance ; ou l’Angleterre, qui a livré Parga aux Turcs, nous le comprenons aisément. Mais pourquoi cette hostilité si souvent déclarée, et si ouvertement manifestée, contre la France ? Pourquoi le poète le plus illustre lance-t-il contre nous l’imprécation furieuse :


Je tairai tous nos autres ennemis, toutes nos autres douleurs.
Mais point la France scélérate et noire[1]...


Nous sommes-nous montrés traîtres envers nos voisins au point qu’on ait le droit de parler de la mauvaise foi française, comme les Latins de la mauvaise foi punique ? Les relations personnelles, qui rapprochent incessamment les hommes des deux pays, — tant d’Italiens à Paris, tant de Français à Milan, à Florence et à Rome ! — sont impuissantes à produire l’apaisement : on voit éclater des malentendus comme celui qui mit aux prises Pepe et Lamartine. En vérité, il semble qu’il y ait là un problème d’un ordre particulier : car de 1813 à 1830, peu de faits apparaissent qui puissent le résoudre. Sans doute, les littérateurs ont pris chez Alfieri la tradition du Misogallo : mais l’habitude est trop générale, elle se manifeste chez des esprits trop originaux, pour qu’on puisse voir en elle une simple manie littéraire. Sans doute, toutes les invectives qu’on adresse à la France ne lui

  1. Leopardi, Sopra il monumento di Dante (1818). Remanié dans les éditions postérieures.