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saints et de saintes se déploie avec une noblesse et une grâce de lignes intraduisibles. Cette fois, les figures s’harmonisent étroitement dans une vaste ligne rythmique, et les teintes, — chasubles d’or des évêques, bure d’un saint moine, grand corps nu de saint Sébastien, cuirasse d’acier sombre des guerriers divins, tons rouges, bleus et gris-nacrés des robes de femmes, pourpre des étoffes agitées par les anges, — se confondent, s’unissent, s’épousent dans une atmosphère impondérable où les contours vibrent mieux tout en s’atténuant, où la matière échappe à l’analyse, où la peinture n’est plus qu’une « ombre du pinceau, une musique, une mélodie. » Car c’est un Flamand, c’est Rubens, mis sur la voie par les Vénitiens, qui devait le mieux comprendre les paroles de Michel-Ange. Et dès lors nul ne traduit aussi sûrement que lui la mysticité de la religion rajeunie ; il peint les joies célestes telles qu’on se les représentait, héroïques et théâtrales, mais la sincérité et la profondeur de son ode sont indiscutables. Il n’est pas vrai, comme on l’a dit, que le coloris était devenu pour lui « l’unique affaire. » La couleur n’était qu’un moyen. Pour peindre la céleste assemblée, pour faire apparaître la Vierge et les saints aux yeux des fidèles d’Anvers, toujours épris de belles couleurs, il lui fallait une palette divine. Il sut la conquérir, et ce fut l’un des grands miracles de la foi nouvelle.

L’esquisse de ce Mariage mystique de sainte Catherine envoyée par le musée de Berlin et celle de la Flagellation (collection van Mallmann) sont les deux seules études que l’exposition ait pu rapprocher des grands tableaux dont elles sont le germe. De nombreuses esquisses, plus précieuses les unes que les autres, les entourent. La joie de les admirer fut si vive les premiers jours, qu’elle rendit injuste pour le Rubens des grandes compositions. Tous les visiteurs semblaient avoir lu Diderot : « Les esquisses ont communément un feu que le tableau n’a pas. C’est le moment de la chaleur de l’artiste ;… c’est l’âme du peintre qui se répand librement sur la toile. » Sans doute. Mais on peut se demander quelle eût été la signification de Rubens, s’il n’avait peint que des esquisses ? Ses élèves l’aidaient, il est vrai (et ces collaborations sont trop connues pour qu’il faille insister). Mais n’achevait-il point le plus souvent ses grandes œuvres sur place ? En laissant courir son pinceau dans ces petites inventions, ne songeait-il pas avant tout aux