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Mont-Cassin ; devant nous, des malades et des possédés ; à gauche, des guerriers (la suite de Totila ? ) dont quelques-uns seulement ébauchés ; à droite, des moines accueillant des enfans au monastère ; dans le ciel, une ronde d’anges entourant la Sainte Trinité. Et ces anges vêtus de soleil, et ces moines perdus dans une pénombre rembranesque, et ces guerriers animés et multicolores, composent autant de tableaux inoubliables. L’ensemble est légèrement disparate, mais l’âme romantique du maître parle à nouveau avec une extrême vivacité. La mise en scène est comme shakspearienne, et l’on comprend que Delacroix ait aimé et copié ce tableau, composé de plusieurs chefs-d’œuvre. Les beaux effets de clair-obscur, la poésie romantique des Miracles, on les peut noter également dans le Bain de Diane (collection Schubart-Czermarck, Munich), merveilleux fragment d’une œuvre achetée par Richelieu à la mort de Rubens, et qui satisfit si fort le cardinal qu’outre le prix de l’achat, il fit parvenir à la veuve du peintre une montre avec diamant. Il ne reste de ce qui représentait primitivement Actéon surprenant Diane que la déesse se revêtant hâtivement avec l’aide de ses femmes et détachant sa nudité sur les ombres tressaillantes de la forêt. Quel étonnement de voir, à côté de ce tableau délicieusement adouci par le temps, la Madone à la corbeille à ouvrage prêtée par l’empereur d’Allemagne ! La composition de cette œuvre, peinte vers 1616, est d’une grâce toute raphaëlesque. Mais les restaurateurs de l’Allemagne officielle lui ont impitoyablement enlevé ses vieux vernis et sa patine séculaire. Désagréablement miroitante, on dirait aujourd’hui d’une peinture sur porcelaine. Une autre Vierge de Rubens, venue également de Potsdam, — et d’une facture si moderne qu’on songe tout de suite à Léon Frédéric, — a été nettoyée de la même manière. Fameuse et redoutable boite Peterkofer où l’on baigne les tableaux dans la vapeur de l’alcool, voilà sans doute de tes méfaits ? Vraiment, les conservateurs allemands n’outrepassent-ils pas leurs droits en transformant, » d’après leur idéal de parfaite ménagère, des chefs-d’œuvre qui sont le patrimoine de l’humanité ?

Après ces fâcheuses surprises, c’est une fête sans mélange de contempler le grand tableau de lord Darnley : Thomyris faisant plonger la tête de Cyrus dans un bain de sang. Il n’y a point à l’exposition de tableau qui rivalise avec celui-ci pour le coloris ; il n’y en a point qui soit mieux conservé. L’œuvre doit dater