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Thrace et d’Asie ; même pour eux, la pitié publique exigeait certains ménagemens : par exemple, l’abatage des piliers de minerai qui empêchaient certains éboulemens meurtriers était défendu sous peine de mort. Quant aux artisans, il devenait difficile de les tenir lorsque l’ennemi était menaçant : les 20 000 esclaves qui s’échappèrent lors de la guerre de Décélie appartenaient pour la plupart à cette catégorie.

Mais ces 20 000 esclaves n’étaient qu’une minorité, et l’on voit que, même en une crise qui rendait facile la délivrance, la grande majorité restait fidèle au maître : c’étaient ceux qui vivaient avec lui, dans sa maison, à la campagne ou à la ville, aides de culture ou domestiques.

D’aucuns étaient plus heureux encore. Ils avaient une grande valeur et étaient employés à des taches délicates. Niciae possédait ainsi un intendant qui lui avait coûté 6 000 drachmes, et qui dirigeait toute son exploitation du Laurion. Des hommes pareils, qui réglaient l’activité et pourvoyaient à la subsistance de centaines de travailleurs, étaient ménagés, et le maître les admettait parfois à la participation aux bénéfices.

On finit par voir des esclaves faire figure de gens riches, au grand scandale des réactionnaires :

« Les esclaves, lit-on dans un pamphlet de 424, ne sont nulle part aussi insolens qu’à Athènes ; on ne peut les frapper ; un esclave ne se dérangera pas pour vous… Il arrive même (et l’on s’en étonne) que des esclaves vivent dans le luxe et mènent grand train ; c’est très naturel. Beaucoup de gens sont à la merci des esclaves qui négocient leurs affaires : ils sont donc obligés de leur laisser une grande liberté d’allures. Or, là où il y a des esclaves riches, il ne faut pas que mon esclave vous craigne. Vous voudriez que, comme à Lacédémone, mon esclave vous craignît. Mais si votre esclave me craignait, vous auriez à redouter qu’il ne me sacrifie les intérêts importans dont il a la garde, pour se garantir d’un risque personnel. Voilà pourquoi nous avons accordé cette égalité aux esclaves… »

La situation de tels esclaves aboutissait vite à l’affranchissement et dès lors les chances d’ascension devenaient les mêmes que pour les métèques. Mais on ne vit pas encore, dans la société contemporaine de Périclès, un affranchi devenir le premier banquier de la ville, comme le fut Pasion vers 400.