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susceptibles d’être reçues pour vraies par toutes les intelligences, ce qui est l’essentiel de l’objectivité.

La question de savoir suivant quelle méthode doit être traité le problème des rapports de la religion et de la morale semble ainsi devoir se résoudre de la manière suivante. Il est, certes, nécessaire de réunir le plus d’informations possible, d’être en possession des plus subtils concepts inventés par les théologiens, les moralistes et les philosophes, en même temps que de la masse de faits recueillie par les historiens. Mais ni les concepts, ni les faits ne suffisent : faits et concepts ne peuvent, d’eux-mêmes, s’ajuster de façon à produire des notions vraies. La puissance qui, d’un juste mariage des intuitions et des concepts, formera des créations harmonieuses et viables, c’est la raison, ou union vivante de la méthode et de la connaissance, de la pensée et de l’action.

Si nous étudions les rapports existant entre la religion et la morale du propre point de vue de la raison, c’est-à-dire d’une façon vivante et pratique, et non pas seulement spéculative ou empirique, nous nous efforcerons à considérer la morale et la religion, moins sous la forme donnée qu’elles revêtent ici ou là, que sous la forme idéale qui préside à leur évolution et à leur progrès. Et peut-être ces mêmes puissances qui, attachées à la poursuite de fins subalternes, se combattent, apparaîtront-elles comme convergentes, si on les considère dans leur marche vers leurs fins supérieures.

Ce n’est pas tout. La science proprement dite ne conçoit, entre les concepts, d’autres liaisons que des rapports synthétiques ou analytiques. Les deux termes, extérieurs l’un à l’autre, qui figurent dans l’énoncé d’une loi physique sont liés entre eux synthétiquement. La réduction des lois particulières aux lois générales se fait par assimilation, analytiquement. Mais la raison admet et détermine, outre ces deux types de rapports, l’un empirique, l’autre logique, des rapports de convenance ou d’harmonie, qui participent à la fois des caractères de l’un et de l’autre type, mais qui, par la fusion intime de ces caractères en apparence irréductibles, constituent une création originale. C’est sur le sentiment, plus ou moins conscient, de la possibilité de tels rapports que repose notre vie d’hommes. Nous cherchons à créer des solidarités rationnelles, plus intimes et profondes que les liaisons données dans l’expérience, plus respectueuses