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mais toute la presse et tout le public lui avaient témoigné de la sympathie et il aurait été acclamé s’il avait atteint le but. On aurait vu en lui l’heureux champion de la civilisation et du progrès, et non pas d’une nationalité hostile. Les Allemands savent tout cela, mais ils ont perdu la tête. La Poste de Strasbourg n’est pas le seul de leurs journaux qui ait tenu contre nous un langage qu’il faut bien qualifier de barbare. La poussée de fureur teutone a été d’abord la plus forte. Depuis, on s’est repris ; ou a expliqué qu’on ne nous en voulait pas de nos succès dans le domaine de l’air, mais seulement des fanfares dont nous les avons entourés. Il paraît que les Allemands ont seuls les droits qu’ils nous refusent, et que ce qui est innocent de leur part ne l’est pas de la nôtre. C’est une notion qu’ils feront bien de perdre.

Mais pourquoi insister ? Nous voulons espérer que cet emportement sera passager, et nous serons peut-être les premiers à en perdre le souvenir : on nous accuse d’être si légers ! Nous continuerons de travailler et d’inventer au profit de tous. Dans quelque temps, dans quelques mois peut-être, les Allemands feront des aéroplanes à l’instar des nôtres, et ils nous rejoindront dans le domaine où nous les avons précédés. N’est-ce pas ce qui arrive toujours ? Est-ce qu’une découverte, un progrès fait par une nation ne profite pas bientôt aux autres ? L’égalité, au moins sous ce rapport, ne tarde-t-elle pas à se rétablir ? Les Allemands l’ignorent-ils ? Une grande parole vient de se faire entendre à Kœnigsberg. L’empereur Guillaume s’est exprimé avec éloquence comme toujours, et assurément aussi avec franchise. Nul homme au monde ne dit mieux que lui ce qu’il pense, et même tout ce qu’il pense, ce qui n’est pas toujours sans inconvénient : mais, cette fois, les inconvéniens ne sont pas pour nous. L’Empereur qui s’était tu depuis deux ans, a affirmé de nouveau dans son langage lyrique le caractère surnaturel de la mission qu’il remplit ici-bas et qu’il tient de Dieu et de ses ancêtres, « non pas des Parlemens, des assemblées nationales et des plébiscites, » c’est-à-dire de l’opinion et de ses organes. « Me considérant, a-t-il ajouté, comme un instrument du Seigneur et indifférent aux manières de voir du jour, je poursuis ma voie uniquement consacrée à la prospérité et au développement pacifique de la patrie. » Ce discours, plein de réminiscences historiques et militaires et qui a évoqué en face l’une de l’autre les ombres tragiques de Napoléon et de la reine Louise, a produit une profonde émotion on Allemagne. On y a trouvé la marque d’un autre âge, et peut-être ne simplifiera-t-il pas au dedans la tâche déjà difficile, du gouvernement. Pour nous, restant au point de vue