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Ce n’est pas aux professeurs des facultés d’apprendre à des jeunes gens de vingt ans la langue française.

Les jeunes gens de vingt ans qui y arrivent devraient la savoir. Ni ils ne la savent, ni même ils ne se doutent, — sauf rares exceptions, — de ce que c’est. La faute en est : 1° à l’abandon du latin ; 2° aux programmes encyclopédiques des lycées ; 3° aux spécialisations hâtives des « quatre cycles ; » 4° à la lecture des journaux qui s’est substituée à la lecture des livres.

L’habitude du latin apprend à écrire en français : d’abord parce qu’on ne sait le sens même des mots français que quand on sait le sens qu’ils avaient en latin, et elle avait bien raison cette dame à qui j’avais reproché d’écrire « préférer que, » et qui me répondait : « Que voulez-vous ? je ne sais pas le latin ; » et certainement quiconque sait ce que veut dire préférer ne peut pas, y mît-il toute sa mauvaise volonté, ne peut pas écrire préférer que ; — ensuite et surtout parce que l’habitude de mettre du français en latin et du latin en français force à réfléchir sur le sens des mots, à en voir l’exacte portée, la limite exacte, et à ne pas prendre le mot pour quelque chose de vague et de flou qui veut dire approximativement quelque chose : jamais un homme qui n’aura pas fait, et avec la volonté qu’ils soient bien faits, force thèmes latins et force versions latines, n’aura, sauf certain génie inné qui est très rare, la moindre précision dans l’expression ; — enfin parce que l’habitude du latin donne le goût d’une phrase construite et non pas invertébrée, goût que, je le reconnais, le commerce de Bossuet, de Rousseau, de Chateaubriand ou de Brunetière peut procurer, mais non pas si pleinement que celui de Tite-Live ou de Cicéron. Le déclin du français a été parallèle à celui du latin, et ici le post hoc, ergo propter hoc me paraît juste.

Si au moins dans les lycées on enseignait le français par le français, conformément à une formule très en honneur chez les réformistes de 1880 ! Mais on ne l’enseigne pas même ainsi, parce que trop peu d’heures sont réservées et consacrées à cette étude. Les lycéens, quel que soit le cycle qu’ils aient adopté, ayant un programme énorme de notions à absorber, n’ont presque aucun temps à donner à l’étude du français, qui est une étude qui demande beaucoup de loisirs, de lectures lentes, de lectures méditées ; qui exclut toute hâte, toute précipitation et toute préoccupation dispersée. La question de la crise du français est toute