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à le contester ; mais aussi il n’est pas inutile, pour comprendre l’évolution en apparence irrégulière de son génie, de savoir que Corneille est un chroniqueur, un actualiste, que chacun de ses poèmes dramatiques (du moins jusqu’à un certain âge) est « l’article à faire, » l’ouvrage directement inspiré par ce dont il est question cette année-là dans les conversations. Dirai-je en conséquence que si l’on n’est pas au courant de l’histoire presque anecdotique de 1630 à 1650 on ne comprendra rien à Corneille ? Non, sans doute ; mais que, sans la connaissance assez complète de cette histoire, des choses très importantes nous échapperont ou nous paraîtront étranges dans le théâtre de Corneille ; et de purs et simples contresens, et très graves, seront faits.

L’information historique empêche le critique de se borner à sentir une âme du XVIIe siècle avec une âme du XXe ; et c’est-à-dire qu’elle l’empêche d’aller purement au hasard dans l’interprétation, ou qu’elle l’empêche de donner simplement et exclusivement son émotion, ce qui n’est plus interpréter du tout.

Donc, avant tout, savoir et savoir beaucoup ; non pour enseigner beaucoup de choses, ce qui serait simple cuistrerie ; mais pour comprendre exactement un petit nombre de choses et pour les expliquer exactement ; — et aussi pour enseigner qu’il faut savoir beaucoup pour expliquer quoi que ce soit.

Au savoir il faut ajouter la méthode, les méthodes, parce que c’est encore ce qui est communicable, tandis que la finesse d’esprit ou la force d’esprit ne le sont pas ; parce que c’est, encore, ce dont on peut munir les jeunes esprits et ce qui leur convient à tous et peut leur servir à tous, tandis que notre façon de sentir, ou n’est pas transmissible, ou n’est transmissible qu’à tel qui se trouve nous ressembler, ou ne serait qu’imitée et contrefaite et alors serait seulement ridicule, comme nous l’apprend La Bruyère quand il nous dit : « Je rirais de quelqu’un qui voudrait avoir ma démarche et mon son de voix. »

Les méthodes pour savoir faire la critique des textes, c’est-à-dire pour établir avec le dernier degré de probabilité quel est le texte vrai et quel le texte erroné ; les méthodes pour établir quelle est la langue usuelle d’un auteur et en quoi elle diffère de la langue commune de son temps et pourquoi (probablement) elle en diffère ; les méthodes pour établir à quelles influences a