Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 59.djvu/671

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

ces belles campagnes ! que le vert éteint de ces prés mûris forme un agréable mélange avec le blanc de tous ces faucheurs en chemise et de ces jolies faneuses ! Quelle vie dans tous ces paysages ! Quelle joie pure ! Que ces champs allemands sont français ! Quel spectacle pour un roi ! »

Il n’est pas besoin d’être un roi pour goûter ce spectacle. Ce n’est pas seulement la beauté de la nature, mais c’est aussi le charme plus réservé de la ville qu’un jeune Français d’aujourd’hui, s’il a des yeux et de l’âme, éprouvera, mais avec une émotion plus intime, et cette émotion lui sera d’autant plus chère qu’elle l’aura plus vivement surpris. Entre ses deux grandes voisines Strasbourg et Mulhouse, si importantes dans l’Alsace à des titres si différens, Colmar, en effet, ressemble à une cadette de famille dont nul ne parle, qui est sacrifiée et qui se résigne. Bien que préfecture, ce n’est qu’une petite ville tranquille, la plupart des touristes la brûlent, les guides ne lui consacrent qu’une page ; elle ne possède ni très hauts fonctionnaires, ni considérables industriels, et les trésors qu’elle renferme, elle n’en fait pas étalage, elle ne sait pas enfin se pousser dans le monde, — et on ne lit plus les livres du marquis de Pezay. C’est, d’aventure, un soir d’été qu’arrivant de France par les changeantes vallées vosgiennes, ou du pays de Baden par la plaine fastueuse, ou de Strasbourg par la ligne qui longe les montagnes couronnées de ruines, on s’y arrête, fatigué, une nuit, pour reposer, et qu’on la découvre.

C’est un soir… On descend du train, et comme, dans une petite ville, il ne doit pas y avoir de distance, on s’en va à pied, dédaignant le tramway. Une large avenue, avec des maisons blanches construites la plupart encore sous le régime français ou dans les toutes premières années du régime allemand, et brusquement, au bord de l’avenue, un peu en contre-bas et prolongeant le jardin public, une place, le Champ-de-Mars. Elle est presque déserte ; trois vieux cochers et trois vieux chevaux y attendent sans fiévreuse espérance les cliens. Elle est immense ; les rares promeneurs qui s’y attardent, et les rares habitans plus pressés qui la traversent, s’y perdent, s’y évanouissent, ne s’y voient pas : il n’y a là qu’un homme, le grand Rapp, dont la statue de bronze se dresse avec un geste impérieux. Tout près, sur l’avenue, c’est l’animation de la cité, des marchands, des cafetiers, des employés, des oisifs, mais là-bas, en face, de