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agricoles pour faire la guerre aux métayers. Ceux-ci boycottèrent la ville et mirent le marché en quarantaine. Pendant deux jours, on se battit dans les rues ; les socialistes élevaient des barricades. La victoire resta aux métayers : ils voulurent la marquer avec éclat. Le maire d’Imola, un socialiste, dut s’excuser en bonne forme devant leurs représentans, pour avoir laissé des factieux troubler l’ordre public et dépaver les rues ; et il ne fallut rien moins que l’intervention de l’autorité gouvernementale, pour empêcher que trois mille mezzadri, armés de rondins et de fourches, n’entrassent dans la ville en cortège avec les machines agricoles qui symbolisaient leur triomphe. Aux environs de Ravenne, durant toute la période des moissons, les patrouilles de bersagliers qui battaient la campagne eurent fort à faire pour empêcher de se rencontrer, ou pour séparer, lorsqu’ils arrivaient trop tard, les travailleuses socialistes et les travailleuses républicaines. Invariablement montées sur leurs bicyclettes, elles s’avançaient en groupes serrés, puis sur un ordre donné, faisaient volte-face ou changeaient brusquement de route pour tromper la surveillance des soldats. Les luttes nocturnes autour des machines méritent encore d’être signalées. Pendant tout le mois d’août, il ne s’est guère passé de nuit, que les braccianti de Ravenne ne fissent sortir clandestinement des remises quelques-unes de leurs batteuses, pour les amener sur un domaine cultivé à mezzadria. À l’approche des machines, les sentinelles postées par les métayers donnaient l’alarme. Les conducteurs poussaient leurs attelages de bœufs ; à peine introduites, les batteuses étaient déjà en action : et la police, impuissante devant le fait accompli, se retirait après avoir dressé procès-verbal. Dans les domaines où ils n’avaient pas pu faire entrer leurs propres machines, les braccianti, plutôt que d’employer celles des propriétaires ou des métayers, aimèrent mieux battre le grain avec des fléaux : les journaux socialistes qualifièrent leur entêtement d’héroïsme.

On ne peut pas encore prévoir quels seront les résultats de cette lutte opiniâtre, ni quels avantages en retireront les divers partis. Mais les plus avisés parmi les socialistes italiens ont généralement considéré comme une erreur de tactique, de la part des organisations ouvrières, le fait d’avoir provoqué par des exigences trop fréquentes le mécontentement et l’hostilité des métayers. Faute d’avoir su attendre, on perdait ainsi tout