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Reichstag présidée par Gneist, le 7, un grand meeting à l’hôtel de ville de Berlin, expédiaient en Angleterre de chaleureux complimens. La presse exagérait ces manifestations. Elle faisait silence, autant que possible, sur les messages très significatifs qui s’échangeaient entre un meeting de catholiques anglais et un meeting de catholiques berlinois ; et dans l’esprit de Guillaume une impression se gravait : c’est que cette Angleterre qui, d’accord avec la Prusse, avait en 1842 installé le protestantisme à Jérusalem, se mettait à côté d’elle aujourd’hui, pour lutter contre Rome. Alors Guillaume, le 18 février, prenait la plume et, dans une lettre à Russell, il remerciait ses alliés d’Angleterre. Il affirmait sa tolérance « évangélique, » son respect pour la foi des autres ; mais l’insistance avec laquelle il répétait que les lois récentes ne portaient atteinte ni à l’Église catholique ni à la liberté de ses adeptes, prouvait que le roi de Prusse, en cette heure de crise, connaissait assez mal la foi des autres et les susceptibilités que ces « autres » éprouvaient. D’ailleurs, cette épithète d’« évangélique, » dont il qualifiait sa tolérance, n’était qu’un des nombreux symptômes de l’esprit formellement et systématiquement protestant qui circulait à travers tout son message ; il rappelait les liens qui avaient uni sa maison à celle d’Angleterre, depuis le temps de Guillaume d’Orange ; il déclarait que si le combat qu’il livrait, combat déjà soutenu par les empereurs de jadis, aboutissait à la victoire d’une puissance dont en aucun pays de la terre l’hégémonie ne s’était montrée compatible avec le bien-être des peuples, on verrait péricliter, ailleurs ainsi qu’en Allemagne, les bienfaits de la Réforme, la liberté de conscience, l’autorité des lois.

La lettre à Russell était un succès pour Bismarck. Chaque fois que s’affaissait le zèle de l’Empereur, il l’amenait ainsi à reprendre élan et à frapper lui-même un coup. La Chambre des pairs, ce jour-là même, votait la loi sur le mariage civil, et riait de Gerlach qui redemandait le retrait des lois de Mai ; le paraphe de Guillaume s’alignerait sous cette loi comme sous la lettre à lord Russell. Bismarck avait tendu la plume, l’Empereur s’était fait la main. Et si Rome apercevait, à l’arrière-plan de ces manifestations, un projet de mobilisation du protestantisme universel, Rome peut-être songerait à traiter. Bismarck ainsi, tout en même temps, aurait achevé de raffermir l’Empereur et commencé d’intimider le Pape. Il gardait toujours son rêve de voir