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deux politiques, l’une publique, l’autre occulte, et qu’en affirmant notre volonté pacifique, nous ayons sournoisement prémédité la guerre pour voler la Belgique ! On a violé le secret de toutes les correspondances officielles et confidentielles de l’Empire ; nos ennemis français et étrangers ont eu entre les mains tous nos écrits, ils n’ont rien trouvé, eux non plus, qui justifiât l’accusation prussienne, rien, absolument rien.

Si, à ce moment, j’avais eu entre les mains les documens que j’ai eus depuis, la tentative de Bismarck de nous déshonorer n’eût pas réussi et il eût été battu une troisième fois diplomatiquement, comme il l’avait déjà été deux fois. Mais je ne pouvais alors opposer à ces impostures que des dénégations. Benedetti avait beau attribuer à Bismarck l’initiative de la négociation, il n’en pouvait fournir aucune preuve, tandis que la production du traité écrit de sa main établissait d’une manière indéniable que l’Empereur, Bouher et Moustier avaient au moins cédé à la tentation, et cette évidence enleva tout crédit à nos prestations. Cette fois, Bismarck fut victorieux sur toute la ligne.

Au début de l’affaire, l’opinion publique nous était plus sympathique qu’à la Prusse et presque tous les hommes d’État reconnaissaient que, depuis trois ans, le gouvernement de l’Empereur avait fait à la paix européenne tous les sacrifices qu’il pouvait s’imposer honorablement et qu’il était arrivé aux dernières limites de la patience et de la longanimité. La demande de garanties nous avait fait perdre une partie de ces sympathies ; la brutalité du soufflet d’Ems nous les avait rendues ; la révélation du traité belge nous les aliéna définitivement. Il n’y eut plus un seul homme d’État qui ne nous fût hostile. À l’exception des intéressés, personne n’avait douté d’abord de notre sincérité ; de ce moment, personne n’y crut plus ; on cessa de voir en nous des hommes de paix, se redressant sous un outrage inattendu et immérité ; nous n’apparûmes plus que comme des hommes de rapine en quête du prétexte de se ruer sur les voisins. Nous n’avions qu’un moyen de nous dégager d’un acte que nous ignorions : c’était de nous retirer. Nous n’y pensâmes même point et nous demeurâmes accablés et humiliés sous la réprobation d’une vilaine convoitise qui n’était point la nôtre. C’était une pierre de la ruine autoritaire qui croulait encore sur notre tête.